Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/238

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Le drame fraternel avec son harmonie ;
Et moi j’ai mission de prêter une voix
À tous ces vagues bruits résonnant à la fois,
Comme un bois dont le vent agite les ramures,
Chants d’amour et de mort, fanfares, bruits d’armures,
Que l’orchestre grondant sous le drame inquiet
Bourdonne sourdement ainsi qu’un chœur muet.

En Danemark trônait, triste et pâle fantôme,
Dans ses mains embrouillant les rênes du royaume,
Un monarque débile, un Charles deux du Nord,
Christian, pauvre roi qu’écrase un poids trop fort.
Parti du fond du peuple et du peuple ayant l’âme,
Aimant ce qu’il admire, évitant ce qu’il blâme,
Struensée, un penseur, grand cœur et nom obscur,
A gravi cette pente où nul n’a le pied sûr.
Souverain sans couronne, il règne, il administre,
Il fait fuir les abus dans leur ombre sinistre,
Et, pour en éclairer ses plans nobles et beaux,
Partout d’un nouveau jour allume les flambeaux.
Il a, comme Ruy-Blas, fait le rêve suprême
De sauver tout un peuple en sauvant ce qu’il aime,
Et sans calcul donné, plein d’amour et de foi,
À la reine son âme et sa pensée au roi.
Il soulage à la fois, tendre et sublime aumône,
Cette double misère assise sur le trône,
La tête sans idée et le cœur sans amour.
Mais c’est un sol mouvant que le sol de la cour.
De l’élévation où monte Struensée,
La reine douairière offusquée et froissée,
Avec ses confidents Schack, Guldberg et Kœller,
Machine des complots aussi noirs que l’enfer.
Vieille, elle est attachée à la vieille noblesse.
Dans ce roturier roi tout la choque et la blesse,