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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/269

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la jolie Giselle, telle qu’il l’adorait, mais Giselle la Wili, dans sa nouvelle et bizarre métamorphose, toujours immobile devant lui. La Wili semble seulement l’appeler du regard. Albert, se croyant sous l’empire d’une douce illusion, s’approche d’elle à pas lents et avec précaution, comme un enfant qui veut saisir un papillon sur une fleur. Mais au moment où il étend la main vers Giselle, plus prompte que l’éclair, celle-ci s’élance loin de lui, et s’envole en traversant les airs comme une colombe craintive, pour se poser à une autre place, d’où elle lui jette des regards pleins d’amour.

Ce pas, ou plutôt ce vol, se répète plusieurs fois, au grand désespoir d’Albert, qui cherche vainement à joindre la Wili, fuyant quelquefois au-dessus de lui comme une légère vapeur.

Parfois, pourtant, elle lui fait un geste d’amour, lui jette une fleur, qu’elle enlève sur sa tige, lui adresse un baiser ; mais, impalpable comme un nuage, elle disparaît dès qu’il croit pouvoir la saisir.

Il y renonce enfin ! s’agenouille près de la croix, et joint les mains devant elle d’un air suppliant. La Wili, comme attirée par cette muette douleur si pleine d’amour, s’élance légèrement près de son amant ; il la touche ; déjà, ivre d’amour, de bonheur, il va s’en emparer, lorsque, glissant doucement entre ses bras, elle s’évanouit au milieu des roses, et Albert, en fermant les bras, n’embrasse plus que la croix du tombeau.

Le désespoir le plus profond s’empare de lui, il se relève et va s’éloigner de ce lieu de douleur, lorsque le plus étrange spectacle s’offre à ses yeux et le fascine au point qu’il est en quelque sorte arrêté, fixe, et forcé d’être témoin de l’étrange scène qui se déroule devant lui.