Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/346

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compagnes. Pendant que l’artiste travaille, oubliant son rôle de modèle, elle quitte sa place et se penche sur l’épaule du peintre, qui brouille au hasard les couleurs sur sa palette, troublé par la beauté de Gemma, dont il devine et partage l’amour.

On annonce le marquis de Santa-Croce ; il veut voir de quelle manière Gemma, éveillée, le recevra, et quel progrès a fait son influence. Par un effet de contraste assez commun en magnétisme, la jeune comtesse, à l’état de veille, ressent l’aversion la plus profonde pour celui qu’elle aime endormie, comme si son âme voulait se venger de la violence qu’on exerce sur elle. Lorsque Santa-Croce s’approche d’elle et la salue, elle frissonne et pâlit ; lorsqu’il s’incline sur sa main pour la baiser, elle fait un geste d’horreur, et laisse tomber avec mépris la rose qu’il lui offre : ces marques d’aversion ne font pas sortir Santa-Croce de sa froide et hautaine politesse ; il contient du regard Massimo irrité et jaloux, et répond courtoisement au comte de San-Severino, tuteur de Gemma, qui l’invite à la fête donnée pour sa pupille, ainsi que Massimo, et Angiola, sœur de l’artiste.

Resté seul un instant, Santa-Croce ramasse la rose dédaignée et la magnétise ; il met sa volonté et son désir dans le cœur de la fleur épanouie, et lui donne la puissance d’attirer Gemma qui, en effet, revient bientôt sur la pointe du pied, les bras étendus, et se dirige vers la rose qu’elle respire avec délices et place à son corsage. — Le marquis, caché dans l’ombre, assiste à cette scène et sourit orgueilleusement. — Gemma sera à lui. — La rose agira sur elle, et à la fin du bal, il enlèvera sa conquête. — Des amis sûrs, à qui il donne ses instructions, l’aideront dans cette entreprise hasardeuse.