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LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE SACOUNTALÂ


Notre embarras est extrême : le critique dont relève l’Opéra se repose à Vichy des musiques de l’hiver et du printemps ; — il jouit de cette douceur de ne rien entendre et de ne rien voir des choses du théâtre, comme s’il n’était qu’un simple mortel. — Vacances bien gagnées, car c’est un rude labeur que d’essayer le plaisir des autres comme un échanson qui goûte le vin de la coupe, avant de la passer à son maître, et de dire au public : « Buvez, ou ne buvez pas ! » S’il eût été ici, vous eussiez gagné à sa présence un de ces feuilletons si judicieux, si sensés, si spirituels, si au courant du moindre détail, qui font attendre impatiemment le retour du dimanche. Mais il n’y est pas, que faire ? Passer Sacountalâ sous silence ? Notre amour-propre n’en souffrirait pas ; l’autour d’un livret de ballet est presque étranger à son œuvre, dont tout le mérite revient au chorégraphe, au musicien et au décorateur. D’autre part, un ouvrage bon ou mauvais, joué à l’Opéra, excite une curiosité que le journal doit satisfaire. Faut-il aller chercher un critique blond ? Hélas ! il n’y en a plus. Ils sont devenus gris, chefs d’emploi ou morts à la peine ; il ne nous reste d’autre ressource que de faire nous-même ce compte rendu. Cela semble difficile au premier abord, et rien n’est plus facile en réalité.

L’idée première du ballet ne nous appartient pas. Nous avons emprunté à l’admirable poème dramatique de Calidasa, un contemporain de Virgile qui florissait à la cour de Wieramaditya, l’Auguste de l’Inde, la fable très-peu compliquée de notre ballet, n’ajoutant que les scènes nécessaires pour rendre visible ce qui était en récit dans la pièce, ne retranchant que les voyages mythologiques du roi à