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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/385

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la recherche de la Saconntulâ perdue, voyages qui débordaient du cadre ordinaire de deux actes. — Ceci dit, nous pouvons nous asseoir comme le premier spectateur venu dans notre stalle d’orchestre.

Après une introduction en fa mineur, pleine de motifs charmants et instrumentée avec une science et une maestria qu’on ne pouvait pas attendre d’un jeune compositeur, qui maniait pour la première fois le puissant orchestre de l’Opéra, la toile se lève et découvre une forêt sacrée de l’Inde dans tout son luxe de végétations bizarres, pour nos yeux, du moins, accoutumés à des frondaisons plus sages.

Les figuiers des Banians, sur troncs monstrueux et curieusement coudés, forment comme les piliers de cette pagode touffue. Des talipots, des mangliers, des lataniers poussent en tous sens leurs jets vigoureux et leurs larges feuilles métalliques. Des plantes étranges, dont les branches s’écartent comme les bras multiples des dieux indous portant des fleurs dans leurs mains, se hérissent confusément au pied des arbres gigantesques. Partout éclatent des calices énormes, aux parfums pénétrants, aux vives couleurs ; des lianes où les oiseaux se prennent l’aile comme dans un filet, enchevêtrent leurs mailles et se pendent aux rameaux séculaires. Amras, malicas, madhavis, sirichàs, mille arbustes ou fleurs dont les noms mélodieux comme de la musique, sembleraient barbares à nos oreilles accoutumées aux grincements de la bise septentrionale, étoilent, bordent, festonnent, embaument les premiers plans. Au fond par une percée, miroite l’eau d’un thistà, — étang sacré : — çà et là des cabanes en claies de jonc se devinent à travers la luxuriance des feuillages. Un petit temple, avec son idole à triple tête et à bras sextuples montre que la trimourte de Brahma, de Wishnou et de Shiva a des adorateurs jusque dans celle solitude où l’homme semble n’avoir jamais pénétré.

Ce beau décor a été peint par M. Martin, un habile homme, qui a quinze ans habité l’Inde et s’est approprié les tons de l’ardente palette, dont le soleil là-bas colore les objets. Il ne faut pas s’étonner si sa forêt ne ressemble ni au Bas-Bréau, ni au bois de Vincennes.

Là vivent parmi les fleurs, les parfums, les rayons, les rosées, les chants, dans l’intimité des plantes, des oiseaux et des gazelles, en parfaite communion avec la nature, sous la direction du sage Canoua et de la prudente Gautami, Sacountalà, Anousouya, Priyamwada cl le chœur des jaunes prêtresses leurs compagnes.