Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/387

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faisse sur un banc de mousse pour se réveiller contre le cœur du roi, aux grondements de l’orage, aux lueurs rouges de l’éclair, aux cris des rackasas, sous la malédiction de Durwasas, le terrible ascète indigné de voir un amour coupable profaner la sainte solitude. La raison de Douchnianta se trouble, il s’agite comme un furieux ; les gardes l’emmènent ; Durwasas arrache à Sacountalâ évanouie l’anneau royal, gage de fiançailles, et le jette aux flots dormants de l’étang sacré. Malgré la perte de sa bague et les fantasmagories funèbres dont le méchant Durwasas cherche à l’effrayer, Sacountalâ part pour le palais d’Hastinapourou, habillée de la main des apsaras envoyés par Menaça sa mère céleste, accompagnée de ses fidèles amies Priyamwada et Anousouya, après avoir adressé aux oiseaux, aux fleurs, aux plantes des adieux où respire la touchante sentimentalité panthéiste de 1 Inde.

Tout cet acte (chorégraphiquement) n’a été qu’une suite d’ovations pour madame Ferraris et Petipa.

De la forêt sacrée, nous passons au palais d’Hastinapourou, de l’ombre à la lumière, du silence au tumulte, de la solitude à la foule, de la simplicité ascétique au faste royal, et quel faste ! celui d’un roi de la dynastie lunaire, d’un de ces princes chimériques plastronnes de diamants, ruisselants de pierreries, qui brûlaient les yeux comme le soleil, lorsqu’ils passaient sur des tapis de cachemire en palanquin d’or massif au dos d’un éléphant caparaçonné de perles. La décoration, sans vouloir médire des autres, est une des plus belles qu’on ait vues depuis longtemps à l’Opéra. Figurez-vous une de ces prodigieuses architectures de John Martynn escaladant le ciel et se perdant en perspectives infinies. Mais cette fois il n’y a pas de ténèbres bibliques, pas un nuage noir éventré par la foudre. Un jour « blanc, flamboyant et rutilant » déverse des rasades de clartés sur les gigantesques superpositions de terrasses, sur les escaliers monumentaux, sur les étages de colonnades à chapiteaux bizarres, qui descendent de la ligne extrême du ciel jusqu’aux portiques de la cour intérieure.

Ce portique est soutenu par des colonnes trapues et des éléphants de granit, aux défenses cerclées d’or, à la housse de métal, les uns agenouillés gravement et recourbant leur trompe comme Genésa, le dieu d» la sagesse, les autres la dressant en clairon comme pour barrir une fanfare triomphale. Des escaliers de marbre, conduisant à la première plate-forme, se déroulent en fer à cheval de chaque