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Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/386

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L’antilope chérie de Sacountalâ s’est hasardée hors de la forêt ; vivement poursuivie, elle revient à son gîte, amenant après elle toute une chasse royale dont les clameurs et les piétinements épouvantent les échos paisibles du bois et troublent les dévotions des brahmes retirés dans cet asile pour étudier les Védas.

Le roi Douchinanta n’est point un impie ; il remet dans son carquois la flèche ajustée sur l’arc, renvoie sa suite, dépouille par humilité les insignes royaux, relève le chef des brahmes prosterné à ses pieds, et jette sur l’autel une poignée de l’herbe cousâ, offrande agréable aux Dieux. Les brahmes se retirent, et le roi resté seul, entendant venir les jeunes prêtresses qui accourent des urnes sur l’épaule, se cache derrière un massif de verdure pour ne pas les effrayer. Sacountalâ parait et verse de l’eau pure de l’étang sacré à ses plantes favorites. Du calice d’une malica sort une abeille qui poursuit Sacountalâ, la prenant pour une fleur et cherche à se poser sur ses lèvres roses : les bonds agiles de la jeune fille l’ont bientôt conduite auprès du roi, qui se montre et chasse l’insecte bourdonnant. Après le premier mouvement de surprise à la vue de cet inconnu, Anousouya et Priyamwada le font asseoir sur un banc de mousse, lui offrent des fleurs et des fruits. — Toute rougissante et toute émue, Sacountalâ va puiser pour lui de l’eau fraîche… Voyez la force de l’habitude ! Ne voilà-t-il pas que nous retombons dans le petit train train de l’analyse, comme s’il s’agissait du ballet d’un autre ! — C’est bien assez d’avoir écrit le livret.

Ici commence un long duo d’amour où pour la première fois peut-être l’enivrante poésie de Calidaça a été traduite dans son vigoureux parfum, ses langueurs pâmées et ses roucoulements de tourterelle. M. de Chezy eut été bien étonné de voir madame Ferraris interpréter couramment le sanscrit et le pâli sans faire une faute, et rendre ainsi du bout de ses petits pieds les slokas qui lui ont donné tant de peine ; à l’endroit où il fait une note hérissée de variantes, la danseuse commente le passage difficile en fermant à demi les yeux, en inclinant la tête comme une fleur chargée de rosée, en se penchant avec une volupté morte sur l’épaule de son danseur, et tout le monde comprend.

Tantôt seule, tantôt entourée de ses compagnes, Sacountalâ voltige sur les fleurs comme une plume d’oiseau tombée d’un nid de la forêt et promenée par une brise aromatique ; puis, brisée d’émotion, le sein palpitant, effrayée de l’amour qui l’envahit, elle s’af-