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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/284

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III


À peu près à l’heure où Mme de Champrosé venait de quitter son hôtel, déguisée en grisette endimanchée, un souper avait lieu chez la Guimard, célèbre sujet de l’Académie royale de musique et de danse.

Ce souper réunissait plusieurs seigneurs des plus beaux noms de France, qui ne dédaignaient pas de venir se délasser chez cette belle damnée, comme l’appelle M. de Marmontel, de l’ennui que leur avait causé des sociétés plus décentes.

La salle à manger, décorée avec un goût qui faisait honneur à l’esprit de l’illustre impure, et une richesse qui faisait honneur à la magnificence de M. de S***, réunissait tout ce qu’un luxe délicat peut mettre au service d’une élégance raffinée : les marbres les plus précieux avaient été rassemblés à grands frais pour en revêtir les lambris ou des dorures placées à propos, mais sans cette surcharge qui sent son traitant et son financier, encadraient des peintures ajustées à la destination du lieu, et dues au pinceau moelleux et léger de M. Fragonard, l’élève des Grâces et le peintre ordinaire de Terpsichore ; de petits culs nus d’Amours fouettés de roses entassaient dans des corbeilles les dons de Cérès, de Bacchus et de Pomone ; l’un d’eux même acceptait des mains d’Amphitrite différents poissons de couleurs variées, entre autres un homard qui lui pinçait le doigt et lui faisait faire la plus gentille grimace du monde ; des guirlandes de fleurs et de fruits d’une touche spirituelle autant que fraîche rattachaient entre eux ces médaillons auxquels leur