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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/283

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plat et un bavolet de dentelles, elle sera parfaitement déguisée et cependant toujours belle.

— Flatteuse… et tu crois que tes habits m’iront bien ?

— Nous sommes à peu près de même taille, seulement madame a le corsage plus fin que moi, mais avec un pli et deux épingles on arrangera cela. »

Mme de Champrosé, éveillée par le piquant d’une fantaisie, n’était plus la femme nonchalante de tout à l’heure ; elle avait quitté son air languissant et ses poses endormies. Son œil brillait, sa petite narine rose frémissait.

Elle aidait elle-même Justine à tirer, sur sa jambe faite au tour, de fins bas gris de perle à coins rouges ; à chausser des souliers mignons ornés de petites boucles d’argent. Le savant édifice, élevé le matin avec tant de soin et de travail, fut démoli en quelques coups de peigne. Mme de Champrosé n’en fut pas moins jolie.

Le déshabillé de Justine se trouvait aller au mieux à la marquise : en ce temps-là, les femmes de chambre, se modelant sur les soubrettes de comédie, se permettaient d’être aussi bien faites que leurs maîtresses, quelquefois mieux, ce qui n’était point le cas de Justine ; car Mme la marquise de Champrosé ne devait point ses charmes aux ressources mystérieuses d’une toilette savante.

Elle n’avait rien à cacher, rien à réparer, et restait jolie, même pour sa soubrette, à l’encontre de ces héros qui n’en sont plus pour leur valet de chambre.

Justine envoya chercher une voiture de place qu’on fit approcher de la petite porte du jardin, et la marquise, bien emmitouflée d’une calèche en taffetas gorge de pigeon dont le capuchon lui rabattait sur les yeux, s’élança joyeuse dans le char de louage, et le cocher fouetta les haridelles dans la direction du Moulin-Rouge, croyant emmener deux femmes de chambre allant en partie fine.