Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’entendre à première vue sans se faire languir par tous ces soins mortels.

Mais Mme  de Champrosé, quelque désir qu’elle eût d’être foudroyée, ne trouvait pas un tel charme à la conversation de l’aimable droguiste présomptif et aux œillades du délicieux troisième clerc d’huissier, qu’elle ne jouît de sa parfaite liberté d’esprit et de cœur ; et comme, dans une figure de la contredanse, Justine, en passant auprès de sa maîtresse, semblait l’interroger de l’œil et lui demander si sa fantaisie avait fait un choix parmi ces galants, d’un imperceptible mouvement de tête elle lui fit signe que non.

Si elle restait insensible, elle avait fait d’effroyables ravages dans les cœurs de cette petite bourgeoisie, et les beautés du lieu, qui brillaient d’un éclat passable avant le lever de l’astre nouveau, se trouvaient presque à demi éteintes par sa lumière.

Mlles  Javotte, Nanette et Denise, presque abandonnées de leurs adorateurs habituels, restaient dans une solitude maussade, comme si elles eussent été des douairières ou des aïeules destinées par la multitude de leurs automnes à faire tapisserie de haute-lice le long de la muraille.

Elles avaient pourtant de fortes couleurs sur leurs joues de pommes d’api, des corsages remplis à craquer, et des bas de soie à coins rouges tirés sur leurs jambes dodues, et s’étonnaient qu’une petite personne, à peine potelée, presque pâle, pût lutter contre d’aussi robustes appas et des avantages si palpables.

Pour ramener à elles leurs amoureux envolés, elles faisaient les avances les plus marquées, louchaient à force d’œillades en coulisse, riaient bruyamment d’un rire un peu jaune, et même Denise, en passant près du jeune droguiste, qui, jusque-là, s’était posé sur le pied de son soupirant ordinaire, et acquitté fort régulièrement de cet office, ne put s’empêcher, pour rame-