Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/307

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clercs d’huissier, de femmes de chambre de grandes maisons, mises comme des princesses, et de marchandes cossues, toutes vêtues de soies flamboyantes et portant des coques de perles aux oreilles ; il avait la taille bien prise pour une taille de province ; son habit de droguet tourterelle à boutons d’acier, sur une veste de soie rayée lilas, ne faisait pas trop mauvaise figure pour avoir été coupé dans une petite ville.

Le nouveau-venu, à ce que remarqua Jeannette, avait la jambe belle et le pied petit, et son soulier, ciré à l’œuf, où scintillait une boucle d’acier, le chaussait à merveille.

Quant à sa figure, il avait une physionomie charmante, à laquelle ne nuisait pas un certain air d’ingénuité que les femmes, même les moins usagées, ne haïssent pas de trouver aux jeunes gens ; son œil, quoique doux, ne manquait pas de feu, et à la vivacité de son regard, on devinait que, s’il n’eût été retenu par sa timidité, il se fût montré aisément spirituel ; cette timidité n’allait cependant pas jusqu’à cette bêtise qui étrangle les débutants, leur fait commettre bévues sur bévues, et les rend les plus ridicules du monde.

Quoique de province, il ne paraissait pas éprouver ces vertiges de niaiserie qui poussent un malheureux jeune homme brûlant d’inviter une jolie cousine dont il est amoureux, comme il convient, à demander pour la contredanse un affreux laideron qu’il abhorre.

Il alla, de l’air le plus humblement poli, mais toutefois sans trop de confusion, inviter du premier coup la plus jolie, la plus élégante et la plus fêtée du bal, c’est-à-dire Mlle  Jeannette en personne.

Ce coup d’éclat stupéfia trois ou quatre dadais à tournure d’échalas, à cheveux de filasse et à mains rouges, qui tournaient depuis une heure autour de Jeannette comme des hérons en peine, changeant de