Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/306

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et sa carrure qui se moulait dans un large habit marron, montraient qu’il était encore, malgré son âge, un vert-galant, et ce qu’on appelle à Cythère un payeur d’arrérages.

Ce personnage, auquel toute l’assemblée marquait beaucoup de déférence, et à qui on donnait du M. de Bonnard gros comme le bras, en amenait un autre qu’il annonça sous le nom modeste de M. Jean, un parent de province qui venait à Paris dans l’espoir d’entrer commis aux gabelles, par sa toute-puissante protection.

« Il est un peu timide, ajouta à cette explication reçue avec toute la bénignité possible le majestueux M. de Bonnard, secouant d’un air d’aisance aristocratique, à la manière des grands seigneurs, qu’il tâchait de singer, quelques grains de tabac d’Espagne arrêtés aux plis de son jabot : mais j’espère que ces dames ne le traiteront pas trop en provincial et voudront être indulgentes pour les débuts d’un jeune garçon tout frais débarqué par le coche d’Auxerre, et qui ne demande pas mieux que de se former aux belles manières de Paris.

Cette petite harangue terminée, maître Bonnard pirouetta sur son talon avec assez de prestesse, et, croyant avoir fait tout ce qu’il fallait pour son protégé, l’abandonna à lui-même, — lâchant le coq parmi les poulettes, — et s’en alla dire des gaudrioles aux mères et pincer la joue aux filles, d’un air semi-paternel, semi-libertin, dont le secret est perdu.

M. Jean, que Jeannette regardait de son coin avec beaucoup d’attention, n’avait pas autant de disgrâce qu’on aurait pu l’attendre d’un provincial ; il se tenait même avec assez d’aisance, surtout en pensant à l’embarras qu’il devait éprouver de se trouver seul dans un bal où il ne connaissait âme qui vive, au milieu de bourgeois ayant pignon sur rue, de droguistes, de