Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je ne vous connais pas, grands dieux ! N’ai-je pas vu l’expression céleste de votre regard, la grâce charmante de votre sourire, entendu le son argenté de votre voix ?

« N’ai-je pas touché votre main avec une pression légère ? N’ai-je pas, en dansant, respiré votre bouquet parfumé par votre sein ? Ne sais-je pas que vous avez les cheveux blonds, la taille souple et nonchalante, que vous dansez à ravir ?

« Qu’aurai-je appris de plus sur vous, quand je vous aurai suivie pas à pas pendant plusieurs mois, comme votre chien ou comme votre ombre ?

« Une existence claire et limpide comme la vôtre se pénètre d’un seul coup d’œil.

— Vous croyez ? répondit la fausse Jeannette, qui ne put réprimer un imperceptible sourire à ces dernières paroles de M. Jean ; j’ai des yeux bleus et les cheveux blonds, comme vous l’avez très bien remarqué ; mais que je ne sois pas perfide, acariâtre, méchante, insupportable ? Toute jeune fille est charmante au bal, et la danse adoucit les caractères les plus revêches.

— Calomniez-vous à plaisir ; les divinités peuvent mal parler d’elles sans blasphémer ; mais vous ne me ferez pas changer d’avis.

— Eh bien ! soit ; je suis un composé de perfections ; je ne contesterai pas là-dessus avec vous, quoiqu’il y ait bien de l’exagération dans ce que vous venez de dire ; mais, de tout cela, il ne s’ensuit pas que je doive accepter votre amour aussi vite qu’il est né.

— Qui vous demande cela ? Je veux, si vous me le permettez, vous prouver combien peut être durable un sentiment qui n’a eu besoin que d’une minute pour naître et d’une heure pour se développer.

— Oh ! je vous en préviens, si cette fantaisie née avec le bal ne meurt pas avec lui, et si vous vous souvenez de la petite ouvrière en dentelles que le con-