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moulin ; une grosse rampe de bois le bordait d’un côté, et, de l’autre, une corde aidait à l’ascension.

Il y avait loin de là à l’escalier de l’hôtel de Mme de Champrosé, si commodément ménagé par le sieur Ledoux, architecte de la favorite, orné de bas-reliefs représentant des bacchanales d’enfants, par Lecomte, et côtoyé d’une rampe ouvrée et fleuronnée par le célèbre serrurier Amour ; mais ce contraste plut à la marquise, qui posait en chancelant, sur des marches raboteuses, un pied habitué à fouler les degrés de marbre et des tapis moelleux.

En entrant dans la chambre, Mme de Champrosé fut on ne peut plus satisfaite du zèle de Justine, car ce petit asile, tout en ne dépassant en rien la médiocrité, avait tout ce qu’il fallait pour nicher convenablement l’innocence ou l’amour.

Si Mme de Champrosé eût été philosophe (mais elle ne l’était pas), elle eût pu faire mille réflexions fastidieuses sur la folie des mortels qui se tourmentent de mille manières pour acquérir un luxe qui n’est point nécessaire au bonheur.

En effet, cet intérieur que le peintre Chardin, si vanté à bon droit par M. Diderot, eût aimé à reproduire, formait avec sa boiserie grise, son carreau recouvert d’un tapis usé, sa cheminée de faux marbre surmontée d’un camaïeu, sa fenêtre aux vitres étroites et dont quelques-unes avaient un bouillon au milieu, son pot de faïence de Vincennes où trempe une fleur, sa lumière sobre, tranquille, discrète, concentrée sur la table à ouvrage, un fond tout aussi favorable à la beauté de la marquise que son opulent boudoir encombré de cabinets de laque, de magots de la Chine, de biscuits de Sèvres, d’impostes de Boucher, de gouaches de Baudoin et de mille superfluités coûteuses.

Le mobilier était des plus simples, mais Justine n’avait rien oublié.