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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/333

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« Malheureusement, elle est morte l’année passée ! Pauvre tante ! » Et ici Jeannette éleva vers le plafond, qui représente le ciel dans les scènes d’intérieur, un œil aussi sec que possible.

« Que Dieu veuille avoir son âme, s’exclama d’un air de componction suffisante Jean, qui n’était nullement fâché du trépas de cette tante revêche, dragon qui gardait les pommes d’Hespérides, — et vous vivez seule, ici ?

— Je ne vois que ma cousine Justine ; vous savez, celle qui m’a conduite au bal ; une bien bonne fille. Je ne sors dans la semaine que pour reporter mon ouvrage, et le dimanche pour aller à la messe et à vêpres,

— Où diable la vertu va-t-elle se nicher ? pensa M. Jean, appliquant à la grisette le mot de Molière au mendiant.

— Ma mère et mon père sont morts lorsque j’étais toute jeune ; c’est ma tante qui m’a élevée, et maintenant que je n’ai plus que Justine, vous êtes la première personne étrangère qui ait mis le pied dans ce réduit. Ma cousine me grondera bien de vous avoir laissé entrer.

— Et, moi, je vous en remercie comme d’une précieuse faveur. On ne peut voir voler la fauvette sans désirer connaître son nid. Ce me sera une satisfaction bien douce, en pensant à vous, de pouvoir mettre derrière votre image le fond sur lequel elle se détache habituellement.

« Le jour, je vous verrai assise dans ce grand fauteuil, près de cette fenêtre, où un rayon de soleil viendra se dorer à vos cheveux, occupant au travail des doigts faits pour le sceptre ; la nuit, je me représenterai votre tête virginale faisant des songes enfantins sur le chaste oreiller de ce petit lit bleu et blanc, et je saurai le matin quelles sont les fleurs que vous respirez lorsque, pour faire honte à l’aurore, vous allez en vous levant ouvrir votre croisée.