Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/334

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— Oh ! monsieur Jean, vous parlez comme écrivent ceux qui font des chansons. Seriez-vous un auteur et méditeriez-vous une pièce pour la comédie ? dit Jeannette d’un air un peu alarmé.

— Rassurez-vous, mademoiselle Jeannette, je ne suis pas assez dénué de poésie pour faire des vers.

— Oh ! tant mieux, si j’aimais quelqu’un, je voudrais qu’il n’eût d’esprit que pour moi.

— Ainsi donc, vous vivez contente.

— Oui, mon travail de dentelles, qui n’a rien de répugnant ni de pénible, et que je ferais même par amusement, me donne suffisamment de quoi vivre ; il est vrai que je vis de peu.

— Et vous ne sentez pas qu’il vous manque quelque chose ?

— Nullement. N’ai-je pas du bon lait pour mon déjeuner et une voisine officieuse qui prépare mon humble repas, car dans notre état il faut se conserver les doigts nets ?

« Mon mobilier n’est-il pas gentil, surtout depuis que ma tante Ursule m’a légué son fauteuil à oreilles et sa belle commode à poignées de cuivre ? Allez, il y a peu de grisettes qui soient aussi fières et aussi braves que moi : j’ai un déshabillé pour chaque saison, vert pour le printemps, rose pour l’été, lilas pour l’automne, feuille-morte pour l’hiver, sans compter les fourreaux pour tous les jours.

« Quant aux bonnets, ce n’est pas cela qui m’embarrasse, je me fais de quoi les garnir et je me traite en bonne pratique. »

En faisant cette énumération de ses richesses, Jeannette s’était levée et déployait ses robes avec un mouvement de coquetterie enfantine suprêmement bien joué ou peut-être naturel.

Ces ajustements, quoique simples, étaient de bon goût, venaient des meilleures faiseuses et pouvaient