Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/339

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se fût amusée fort avec des gens de moins d’agrément que l’abbé et le traitant.

Cependant à la fin ils la fatiguèrent, car le vacarme de leurs éclats de rire, devenus bruyants et incommodes, la distrayait d’une pensée trop agréable pour la vouloir perdre dans les banalités d’une conversation superficielle.

Pour indiquer à ses hôtes, disposés à prolonger la séance, que l’heure de la retraite était sonnée, elle fit quelques-unes de ces petites mines que les gens qui sont du monde comprennent à demi-mot, quoique souvent l’idée de laisser un rival seul avec la dame de leurs pensées leur fasse faire la sourde oreille.

La marquise contracta sa bouche de rose en un joli bâillement nerveux, comprimé poliment par la paume de la main, mais assez significatif pour qui voulait l’entendre.

Comme le financier, qui s’était levé et avait pris son chapeau au second bâillement, vit que l’abbé ne bougeait pas, il se rassit avec une opiniâtreté jalouse.

Voyant Bafogne prendre position dans sa bergère, comme un homme qui s’arrange pour le reste de la nuit, et l’abbé posé vis-à-vis de lui en chien de faïence, Mme de Champrosé sentit qu’il fallait frapper un grand coup, et demanda l’heure qu’il était d’un ton de fatigue et d’ennui assez marqué.

L’abbé, qui était plus usagé que le traitant, comprit qu’il serait de mauvais goût de rester plus longtemps, et, par une manœuvre savante, saisissant le bras de Bafogne, il lui dit d’un ton leste et dégagé :

« Venez-vous, mon cher ? Vous voyez bien que cette chère marquise a besoin de repos. »

Bafogne, quoique énormément contrarié, ne put s’empêcher de faire demi-volte et de suivre la courbure de l’échine de l’abbé dans le salut profond que celui-ci fit à la marquise.