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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/341

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d’avoir bouche cousue : comment trouves-tu M. Jean ?

— Au mieux.

— Il a les dents belles.

— Fort belles.

— La taille fine.

— Très fine.

— Ah ça ! Justine, allons-nous faire une conversation en écho ?

— Je ne puis qu’être de l’avis de madame. M. Jean me paraît un jeune homme accompli ; il a bonne grâce, se met proprement et danse à ravir.

« Quant à son esprit, je ne puis rien dire, car il n’a parlé qu’à Mlle Jeannette ; mais l’esprit n’est pas nécessaire en amour.

— Il en a, je t’assure, et du plus fin.

— Tant pis.

— Pourquoi tant pis ? l’esprit ne gâte rien.

— Je croyais que madame voulait un amour dans le genre naïf.

— Oui ; mais est-il indispensable d’être un sot pour aimer ?

— On dit : aimer comme une bête ; et les proverbes sont la sagesse des nations.

— Que diable, Justine, t’ont fait ces pauvres gens d’esprit pour que tu les maltraites à tout bout de champ ?

— Madame, ils ne m’ont rien fait du tout.

— Et c’est pour cela que tu préfères les bêtes ?

— N’est-ce pas une raison ?

— Rassure-toi, M. Jean n’a pas cet esprit que tu crains.

— Je ne cacherai pas à madame que je l’avais soupçonné d’abord d’être poète, à un certain air mélancolique qu’il a.

— Fi donc ! ses ongles sont trop nets, ses cheveux trop bien en ordre, ses bas trop bien tirés pour cela,