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laquais qui attendait la réponse, avec cet air adorable de fatuité des seigneurs d’autrefois, moitié excédé, moitié protecteur :

« C’est bon, j’y passerai. »



XV


Lorsque Mme de Champrosé s’éveilla, sa première pensée fut pour M. Jean. Tous ses rêves avaient été pour lui : toute la nuit, sous son ciel à baldaquin, la noble marquise s’était vue dans la petite chambre, louée par Justine, avec le costume de Jeannette, assise dans ce fauteuil qui avait si bien l’air d’avoir appartenu à une aïeule, tenant sur ses genoux l’étroite planchette de l’ouvrière en dentelles et croisant avec ses doigts menus les fils imperceptibles qui s’embrouillaient sous les baisers de M. Jean, dévotement agenouillé sur un petit tabouret devant elle.

Changeant de sphère, Mme de Champrosé semblait avoir changé d’âme et de caractère ; l’obsession des galantins qui la bourraient de madrigaux fades, de compliments édulcorés, lui avait jusque-là produit l’effet de ces sucreries, de ces crèmes fouettées, de ces meringues à la glace qui ôtent le goût des aliments sains et rassasient sans nourrir.

Trop entourée pour faire un choix, trop prévenue pour éprouver un désir, elle consumait sa vie dans une nonchalance fantasque. Les amours avaient chassé l’Amour. Depuis sa rencontre avec M. Jean, l’Amour avait chassé les amours.

Dès qu’elle fut habillée, le désir d’aller à la petite