Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/354

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M. Bonnard, qui était venu de bonne heure, et avait failli surprendre au lit la fausse Jeannette, habituée à se lever tard, proposa, comme c’est l’usage entre commis et grisette, une partie de campagne aux environs de Paris, avec une collation de fraises, course à âne dans le bois, et dîner au cabaret du Lapin blanc.

Ce plan fut agréé. Seulement Jeannette voulait emmener Justine ; mais celle-ci, qui préférait à la compagnie la plus aimable celle de son courtaud de boutique, garçon peu éloquent sans doute, mais expressif dans le tête-à-tête, s’excusa en disant qu’elle avait à faire des visites qui étaient d’importance et ne se pouvaient remettre. Jean lui sut beaucoup de gré de cette éclipse, et Mme de Champrosé ne lui en voulut pas.

On gagna la barrière en fiacre ; M. Jean, encore qu’il ne fût que surnuméraire aux gabelles, paraissait avoir apporté d’Auxerre un nombre suffisant d’écus de six livres dans sa bourse de peau, et se pouvait permettre ces magnificences qui eussent effrayé et épuisé de petits clercs de la bazoche, et même des fils de droguistes.

Les environs de Paris, sans être de la beauté dont les voyageurs prétendent ceux de quelques autres villes, offrent cependant un agréable mélange de cultures, de jardins, de marais et de bocages, où les oiseaux et les amours peuvent trouver à se nicher.

Les maisons des cultivateurs avec leurs toits rustiques, les moulins à vent tournant leur aile flasque, les guinguettes qui rient et qui chantent, animent ce paysage qui, sans être agreste ni pittoresque, a néanmoins de jolis détails et des charmes imprévus.

Et d’ailleurs il n’y a pas besoin des ombres et des fraîcheurs de Tempé pour encadrer les amours d’une grisette parisienne et d’un commis.

Jean et Jeannette s’en allaient donc par la cam-