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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/378

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Elle admira en enrageant ces beaux yeux bleus si tendres et si fiers, cette bouche rose, ce teint délicat, ces traits si purs, ce beau col si bien attaché, tous ces charmes modestes que faisait valoir un frais déshabillé ; et cette contemplation lui arracha un soupir.

Certes, sa beauté valait celle de Jeannette, et pourtant l’ouvrière en dentelles avait quelque chose d’indéfinissable, un charme particulier, une noblesse naturelle, un certain air aristocratique, si ce mot peut s’appliquer à une simple grisette.

« D’où vient donc qu’elle est plus belle que moi ? se disait la danseuse vis-à-vis de l’ouvrière ; mes yeux valent les siens, mon teint est aussi éclatant, et ma taille est mieux prise. Serait-ce, comme dit ce philosophe, imitateur de Jean-Jacques, que je fais dîner à l’office, qu’à la beauté physique elle joint la beauté morale ? J’étais venue pour lui chanter pouilles, et voilà que je reste presque embarrassée devant elle. »

Ces réflexions rapides traversèrent la tête de Rosette, causèrent un silence de quelques secondes qui devenait gênant ; la danseuse le rompit :

« Ma chère petite, fit-elle du ton le plus affectueux qu’elle put prendre, cette dentelle n’était qu’un prétexte : je voulais vous voir et vous parler pour des choses d’importance, qui vous regardent vous et moi : car, bien que je ne vous aie jamais vue, tout ce qui vous intéresse me touche fort.

— Ce que vous dites, madame, est une énigme où je ne comprends rien. »

Que peuvent avoir de commun deux personnes qui ne se sont jamais rencontrées, et qui ne se rencontreront probablement plus ?

« Mademoiselle Jeannette, vous avez un amant ? »

À cette interpellation si brusque, le noble sang de ses aïeux monta aux joues de Mme de Champrosé