Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/377

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petit hôtel meublé avec un luxe ruineux, comme c’est l’usage lorsqu’un seigneur distingue avec quelque suite une fille de peu.

Il fallait que Jeannette fût d’une vertu à toute épreuve, ou que M. de Candale la respectât infiniment, pour ne pas s’être conduit avec elle de la sorte dont il l’aurait fait avec tout autre.

Elle se disait bien que le vicomte s’était déguisé d’abord pour ne pas effaroucher la donzelle et pénétrer dans la place à l’abri de ce travestissement ; mais elle s’étonnait qu’il le gardât ; et, pour éclaircir ses doutes, elle fit venir une chaise, s’y plaça, enveloppée d’une grande thérèse de couleur sombre, et dit à ses porteurs de la conduire à la rue de…

Jeannette, qui se croyait inconnue à l’univers et perdue comme un oiseau au fond des bois dans ce nid d’amour, fut on ne peut plus surprise lorsqu’elle vit entrer une belle femme bien mise, et l’air passablement dédaigneux, qui lui dit :

« Mademoiselle Jeannette ?

— C’est moi, madame.

— Vous travaillez en dentelles ?

— Oui, madame.

— Pourriez-vous me faire trois aunes d’un dessin pareil à celui-ci ?

— Ce sera long et difficile, mais on peut en venir à bout, dit Mme  de Champrosé, soutenant à tout hasard devant cette inconnue, dont elle ignorait les intentions, son personnage d’ouvrière.

— Et ce sera cher ?

— Trois louis, madame.

— Les voilà d’avance, » dit Rosette, qui voulait se donner le temps d’examiner sa rivale, et qui ne pu avec la meilleure volonté du monde de la trouver affreuse, s’empêcher de convenir vis-à-vis d’elle-même que Jeannette était charmante.