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Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/386

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Personne ne réussissait mieux à son gré le potage à la bisque et les quenelles à l’essence, et c’était un homme incomparable pour les salmis de bécasses.

Aussi le commandeur était-il de la fidélité la plus exemplaire aux soupers de la marquise. On pouvait difficilement le détourner à manger ailleurs, et, après ses propres vins, qu’il soignait avec la sollicitude la plus minutieuse, il n’admettait comme dignes d’être bus par un gosier intelligent que ceux de la marquise dont le sommelier avait pour lui la vénération la plus profonde à cause de ses grandes connaissances dans la matière.

Le chevalier, qui, trompé par les peintures que Justine lui faisait de ses progrès dans le cœur de sa maîtresse, croyait entendre sonner bientôt pour lui l’heure du berger, ne vit pas sans un dépit extrême ses espérances reculées indéfiniment.

Il s’imaginait, grâce à son esprit de ruelles et à sa jambe qu’il avait fort belle et dont il tirait vanité, avoir fait quelque impression sur l’aimable marquise : que de bons mots et de dandinements il lui faudrait pour rattraper le temps perdu ! pensa-t-il avec une sorte de rage. Mais ce dépit outré ne remédiait à rien.

Les quatre habitués de l’hôtel Champrosé se dispersèrent donc, cherchant à passer leur soirée du mieux possible.

L’abbé alla chez la présidente de T***, mais il trouva son carlin si mal élevé et son singe si maussade qu’il s’amusa médiocrement ; la présidente se couperosait d’ailleurs outrageusement, et pour comble de malheur, jamais incarnat ne fut plus mal distribué que le sien, les roses de la pudeur avaient abandonné ses joues pour se réfugier sur son nez où, malgré l’eau de chicorée et de concombre dont on les arrosait, elles se changeaient en coquelicots du ponceau le plus vif.

L’abbé, comparant ce nez, indomptable dans ses ardeurs, au petit nez frais et blanc de Mme de Cham-