Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/387

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prosé, sentit plus amèrement toute l’étendue de son infortune.

Il essaya vainement de placer les vers et les mots qu’il avait faits le matin : les circonstances n’y prêtaient pas, et, au lieu de compliments, ils eussent paru des injures sanglantes.

Accablé par tant de revers, il fut terne, et la présidente de T*** dit à la baronne de B*** :

« Décidément, il baisse, ce cher abbé. »

Encore si le souper avait été bon ! Mais les vins étaient frelatés et les laquais ne versaient à boire qu’en rechignant ; les assiettes disparaissaient aussitôt qu’on tournait la tête, escamotées par les serviteurs pressés de s’aller coucher et d’emporter la desserte.

Malgré le luxe de la vaisselle plate, l’éclat des cristaux et des bougies, c’était une vraie chère de cabaret, comme dans la plupart de ces maisons où l’ostentation se mêle à l’avarice.

Le malheureux abbé prit congé, indigéré à la fois et mourant de faim, et se retira chez lui avec des idées d’aller finir à la Trappe.

Bafogne ne fut pas beaucoup plus heureux ; ne sachant que faire de son temps, il se rendit chez la Desobry, qui l’aidait à prendre en patience les rigueurs des grandes dames ; mais comme l’impure avait compté que son Mondor passerait sa soirée ailleurs, elle avait pris ses mesures pour charmer la solitude où il la laissait.

Le traitant, qui entra inopinément avec l’autorité d’un homme qui paye, vit une petite table à deux couverts délicatement servie, et un bout d’épée et une basque d’uniforme qui disparaissaient par une porte refermée aussitôt.

En vain la Desobry chercha-t-elle à lui expliquer que rien n’était plus naturel que d’avoir deux couverts quand on est seule. Le traitant ne voulut point