Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/392

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car, au bout de quelques minutes, un grand drôle, moitié laquais, moitié valet de ferme, vint dire qu’un gentilhomme, dont la chaise s’était rompue à quelque distance du château, demandait l’hospitalité.

« L’hôte que Dieu nous envoie est le bienvenu, dit la vieille dame, qui avait les traditions des anciens temps. Faites-le entrer. »

Le laquais sortit et Mme de Kerkaradec ne put s’empêcher de se dire : « Il fera ma partie, cet hôte béni qui me tombe du ciel. »

Un personnage de notre connaissance, qui n’était autre que le chevalier, reconnaissable à la ligne rouge que lui laissait sur la joue l’estafilade faite par l’épée de Versac, s’approcha du fauteuil de la douairière, qui s’était un peu soulevée, et salua profondément.

« Madame, je suis le chevalier de Saint-Hubert.

— Moi, la baronne de Kerkaradec.

— Un maladroit de postillon a versé ma chaise et m’a brisé une roue dans une ornière, et je me vois dans l’impossibilité de continuer ma route devant que ma chaise soit raccommodée.

— Ce château est le vôtre, monsieur ; mais ne vous êtes-vous pas blessé ou contusionné en tombant ?

— Non, madame, ma chute a été la plus heureuse du monde ; j’ai glissé sur un tertre fort mollet, tout moussu et tout herbu.

— Ah ! tant mieux ; en sorte que, pour attendre l’heure du dîner, vous pourriez faire avec moi un cent de piquet ?

— Très volontiers, » répondit le chevalier qui saisissait aux cheveux cette occasion de rester dans la place.

Et il s’empara des cartes qu’il battit et coupa avec une aisance qui fit plaisir à la douairière.

« Quelle diable d’idée, se disait-il, a eue Mme de Champrosé de se venir enterrer dans ce nid de hiboux et