Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/391

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griffes de momie, était un sang pur et sorti d’une noble source.

Le rêve caressé de cette bonne dame était d’avoir un partenaire pour jouer aux cartes avec elle. Tous les vieux gentilshommes ses amis étaient morts depuis longtemps.

Elle n’avait que des parents éloignés ou qui ne demeuraient pas en Bretagne ; le curé ne pouvait pas venir souvent.

Le presbytère était à une assez grande distance du château, et les chemins qui y conduisaient étaient détestables.

La pauvre douairière, assise près d’une fenêtre dans un grand fauteuil de tapisserie, s’occupait donc gravement à faire une partie toute seule, sa main droite la représentant elle-même, et sa main gauche représentant son adversaire idéal, lorsqu’une vieille servante tout effarée entra dans la chambre et dit à sa maîtresse :

« Madame ! madame ! on a sonné à la cloche du pont-levis !

— Allons donc ! folle, les oreilles te tintent. Qui veux-tu qui sonne à notre pauvre colombier abandonné ?

— Les oreilles ne me tintent pas : Yvon est allé ouvrir.

— Que me contes-tu ? Il ne vient personne ici. M. le curé passe par la brèche du parc, et entre par la poterne.

— Madame, on a sonné, — et sonné trois fois.

— Chimères ! Le dernier qui a fait baisser le pont-levis, c’est M. de Penhoët, parce qu’il venait à cheval, et il y a… voyons… quinze ans qu’il est mort, » dit la bonne dame en comptant sur ses doigts maigres et jaunes.

La vieille Berthe ne s’était cependant pas trompée,