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VOYAGE EN ESPAGNE.

cette espèce de salon retourné. Tout autour circule, à la hauteur du premier étage, un balcon de fer élégamment travaillé, sur lequel s’ouvrent les fenêtres et les portes des appartements, où l’on n’entre que pour s’habiller, dîner ou faire la sieste. Le reste du temps, l’on se tient dans cette cour-salon, où l’on descend les tableaux, les chaises, les canapés, le piano, et que l’on enjolive de pots de fleurs et de caisses d’orangers.

Notre inspection était à peine achevée, que la Celestina (fille d’auberge fantasque et bizarre) vint nous dire, tout en fredonnant sa chanson, que nous étions servis. Le dîner était assez passable : côtelettes, œufs aux tomates, poulets frits à l’huile, truites du Tage, avec une bouteille de Peralta, vin chaud et liquoreux, parfumé d’un certain petit goût muscat qui n’est pas désagréable.

Notre repas achevé, nous nous répandîmes à travers la ville, précédés d’un guide, barbier de son état, et promeneur de touristes à ses moments perdus.

Les rues de Tolède sont extrêmement étroites ; l’on pourrait se donner la main d’une fenêtre à l’autre, et rien ne serait plus facile que d’enjamber les balcons, si de fort belles grilles et de charmants barreaux de cette riche serrurerie dont on est si prodigue par delà les monts, n’y mettaient bon ordre et n’empêchaient les familiarités aériennes. Ce peu de largeur ferait jeter les hauts cris à tous les partisans de la civilisation, qui ne rêvent que places immenses, vastes squares, rues démesurées et autres embellissements plus ou moins progressifs ; pourtant, rien n’est plus raisonnable que des rues étroites sous un climat torride, et les architectes qui ont fait de si larges trouées dans le massif d’Alger s’en apercevront bientôt. Au fond de ces minces coupures faites à propos aux pâtés et aux îles de maisons, l’on jouit d’une ombre et d’une fraîcheur délicieuses, l’on circule à couvert dans les ramifications et les porosités de ce polypier humain que l’on appelle une ville ; les cuillerées de plomb fondu que Phébus-Apol-