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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/157

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VOYAGE EN ESPAGNE.

et sacrés. L’art gothique, sur les confins de la renaissance, n’a rien produit de plus pur, de plus parfait, ni de mieux dessiné. On attribue cette œuvre effrayante de détails aux patients ciseaux de Philippe de Bourgogne et de Berruguète. La stalle de l’archevêque, plus élevée que les autres, est disposée en forme de trône et marque le milieu du chœur ; des colonnes de jaspe, d’un ton brun et luisant, couronnent cette prodigieuse menuiserie, et sur l’entablement s’élèvent des figures d’albâtre, aussi de Philippe de Bourgogne et de Berruguète, mais dans une manière plus souple et plus libre, d’une élégance et d’un effet admirables. D’énormes pupitres de bronze couverts de missels gigantesques, de grands tapis de sparterie, et deux orgues de dimension colossale, posés en regard, l’un à droite, l’autre à gauche, complètent la décoration.

Derrière le retablo se trouve la chapelle où sont enterrés don Alvar de Luna et sa femme dans deux magnifiques tombeaux d’albâtre juxtaposés ; les murs de cette chapelle sont historiés des armes du connétable, et des coquilles de l’ordre de Santiago, dont il était grand maître. Tout près de là, à la voûte de cette portion de la nef qu’on appelle ici le trascoro, l’on remarque une pierre avec une inscription funèbre : c’est celle d’un noble Tolédan, dont l’orgueil se révoltait à l’idée que sa tombe serait foulée aux pieds par des gens de peu et d’extraction suspecte : « Je ne veux pas que des manants me passent sur le ventre », avait-il dit à son lit de mort ; et comme il laissait de grands biens à l’église, on satisfit cet étrange caprice en logeant son corps dans la maçonnerie de la voûte où personne assurément ne lui marchera dessus.

Nous n’essaierons pas de décrire les chapelles les unes après les autres, il faudrait un volume pour cela : nous nous contenterons de mentionner le tombeau d’un cardinal, exécuté dans le goût arabe avec une délicatesse inimaginable ; nous ne pouvons mieux le comparer qu’à de la guipure sur une grande échelle, et nous arriverons sans