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VOYAGE EN ESPAGNE.

Les ondulations du terrain commençaient à devenir plus fortes et plus fréquentes, nous ne faisions que monter et descendre. Nous approchions de la Sierra-Morena, qui forme la limite du royaume d’Andalousie. Derrière cette ligne de montagnes violettes se cachait le paradis de nos rêves. Déjà les pierres se changeaient en rochers, les collines en groupes étagés ; des chardons de six à sept pieds de haut se hérissaient sur les bords de la route comme des hallebardes de soldats invisibles. Quoique j’aie la prétention de n’être point un âne, j’aime beaucoup les chardons (goût qui, du reste, m’est commun avec les papillons), et ceux-ci me surprirent ; c’est une plante superbe et dont on peut tirer de charmants motifs d’ornementation. L’architecture gothique n’a pas d’arabesques ni de rinceaux plus nettement découpés et d’une ciselure plus fine. De temps à autre, nous apercevions, dans les champs voisins, de grandes plaques jaunâtres, comme si l’on eût vidé là des sacs de paille hachée ; cependant, cette paille, quand nous passions auprès, se soulevait en tourbillonnant et s’envolait avec bruit : c’étaient des bancs de sauterelles qui se reposaient ; il devait y en avoir des millions : ceci sentait fort son Égypte.

C’est à peu près vers cet endroit que j’ai, pour la première fois de ma vie, véritablement souffert de la faim : Ugolin dans sa tour n’était pas plus affamé que moi, et je n’avais pas, comme lui, quatre fils à manger. Le lecteur, qui m’a vu à Valdepeñas m’ingurgiter deux tasses de chocolat, s’étonne peut-être de cette famine prématurée ; mais les tasses espagnoles sont grandes comme un dé à coudre et contiennent tout au plus deux ou trois cuillerées. Ma tristesse fut surtout augmentée à la venta où nous laissâmes notre escorte, en voyant blondir, sous un rayon de soleil qui descendait par la cheminée, une magnifique omelette destinée au dîner de la troupe ; je rôdai autour comme un loup dévorant, mais elle était trop bien gardée pour pouvoir être enlevée. Heureusement, une dame de