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VOYAGE EN ESPAGNE.

fond plus sombre de la foule. L’accoutrement bizarre, le teint hâlé, les yeux étincelants, l’énergie des physionomies, l’attitude impassible et calme de ces majos, plus nombreux que partout ailleurs, donnent à la population de Jaën un aspect plus africain qu’européen ; illusion à laquelle ajoutent beaucoup l’ardeur du climat, la blancheur éblouissante des maisons, toutes passées au lait de chaux, suivant l’usage arabe, le ton fauve des terrains et l’azur inaltérable du ciel. Il y a en Espagne un dicton sur Jaën : « Laide ville, mauvaises gens », qui ne sera trouvé vrai par aucun peintre. Du reste, là-bas comme ici, pour la plupart des gens, une belle ville est tirée au cordeau et garnie d’une quantité suffisante de réverbères et de bourgeois.

Au sortir de Jaën, l’on entre dans une vallée qui se prolonge jusqu’à la Vega de Grenade. Les commencements en sont arides ; des montagnes décharnées, éboulées de sécheresse, vous brûlent, comme des miroirs ardents, de leur réverbération blanchâtre ; nulle trace de végétation que quelques pâles touffes de fenouil. Mais bientôt, la vallée se resserre et se creuse, les cours d’eau commencent à ruisseler, la végétation renaît, l’ombre et la fraîcheur reparaissent. Le Rio de Jaën occupe le fond de la vallée, où il court avec rapidité entre les pierres et les roches qui le contrarient et lui barrent le passage à chaque instant. Le chemin le côtoie et le suit dans ses sinuosités, car, dans les pays de montagnes, les torrents sont encore les ingénieurs les plus habiles pour tracer des routes, et ce qu’on peut faire de mieux, c’est de s’en rapporter à leurs indications.

Une maison de paysans où nous nous arrêtâmes pour boire était entourée de deux ou trois rigoles d’eau courante qui allaient plus loin se distribuer dans un massif de myrtes, de pistachiers, de grenadiers et d’arbres de toute espèce, d’une force de végétation extraordinaire. Il y avait si longtemps que nous n’avions vu de véritable vert, que