Aller au contenu

Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
VOYAGE EN ESPAGNE.

de Decamps représentant des villages turcs, les femmes assises sur le pas de la porte, les enfants à demi nus qui jouent et se culbutent, les ânes qui vont et viennent chargés de plumets et de houppes de laine, donnent à ces ruelles, presque toujours montantes et quelquefois coupées de quelques marches, une physionomie particulière qui n’est pas sans charme et dont l’imprévu compense, et au delà, ce qui leur manque comme régularité.

Victor Hugo, dans sa charmante orientale, dit de Grenade :

Elle peint ses maisons de plus riches couleurs.

Ce détail est d’une grande justesse. Les maisons un peu riches sont peintes extérieurement de la façon la plus bizarre, d’architectures simulées, d’ornements en grisaille et de faux bas-reliefs. Ce sont des panneaux, des cartouches, des trumeaux, des pots-à-feu, des volutes, des médaillons fleuris de roses pompons, des oves, des chicorées, des amours ventrus soutenant toutes sortes d’ustensiles allégoriques sur des fonds vert-pomme, cuisse de nymphe, ventre de biche : le genre rococo poussé à sa dernière expression. L’on a d’abord de la peine à prendre ces enluminures pour des habitations sérieuses. Il vous semble que vous marchez toujours entre des coulisses de théâtre. Nous avions déjà vu à Tolède des façades enluminées dans ce genre, mais elles sont bien loin de celles de Grenade pour la folie des ornements et l’étrangeté des couleurs. Pour ma part, je ne hais pas cette mode, qui égaye les yeux et fait un heureux contraste avec la teinte crayeuse des murailles passées au lait de chaux.

Nous avons parlé tout à l’heure des bourgeois costumés à la française, mais le peuple ne suit heureusement pas les modes de Paris ; il a gardé le chapeau pointu à rebords de velours, orné de touffes de soie, ou de forme tronquée, avec un large retroussis en manière de turban ; la veste