presque tous les bourgeois des villes d’Espagne, de montrer qu’ils ne sont pas pittoresques le moins du monde et de faire preuve de civilisation au moyen de pantalons à sous-pieds. Telle est l’idée qui les préoccupe : ils ont peur de passer pour barbares, pour arriérés, et, lorsque l’on vante la beauté sauvage de leur pays, ils s’excusent humblement de n’avoir pas encore de chemins de fer et de manquer d’usines à vapeur. L’un de ces honnêtes citadins, devant qui j’exaltais les agréments de Grenade, me répondit : « C’est la ville la mieux éclairée d’Andalousie. Remarquez quelle quantité de réverbères ; mais quel dommage qu’ils ne soient pas alimentés par le gaz ! »
Grenade est gaie, riante, animée, quoique bien déchue de son ancienne splendeur. Les habitants se multiplient et jouent à merveille une nombreuse population ; les voitures y sont plus belles et en plus grande quantité qu’à Madrid. La pétulance andalouse répand dans les rues un mouvement et une vie inconnus aux graves promeneurs castillans, qui ne font pas plus de bruit que leur ombre : ce que nous disons là s’applique surtout à la Carrera del Darro, au Zacatin, à la place Neuve, à la calle de los Gomeles qui mène à l’Alhambra, à la place du Théâtre, aux abords de la promenade et aux principales rues artérielles. Le reste de la ville est sillonné en tous sens d’inextricables ruelles de trois à quatre pieds de large qui ne peuvent admettre de voitures, et rappellent tout à fait les rues moresques d’Alger. Le seul bruit qu’on y entende, c’est le sabot d’un âne ou d’un mulet qui arrache une étincelle aux cailloux luisants du pavé ou le fron-fron monotone d’une guitare qui bourdonne au fond d’une cour intérieure.
Les balcons ornés de stores, de pots de fleurs et d’arbustes, les brindilles de vigne qui se hasardent d’une fenêtre à l’autre, les lauriers-roses qui lancent leurs bouquets étincelants par-dessus les murs des jardins, les jeux bizarres du soleil et de l’ombre qui rappellent les tableaux