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VOYAGE EN ESPAGNE.

deux pierres séparées donnent un air rébarbatif et cabalistique. La clef est un symbole en grande vénération chez les Arabes, à cause d’un verset du Coran qui commence par ces mots : Il a ouvert, et de plusieurs autres significations hermétiques ; la main est destinée à conjurer le mauvais œil, la jettatura, comme les petites mains de corail que l’on porte à Naples en épingle ou en breloque pour se garantir des regards obliques. Il y avait une ancienne prédiction qui disait que Grenade ne serait prise que lorsque la main aurait saisi la clef ; il faut avouer, à la honte du prophète, que les deux hiéroglyphes sont toujours à la même place, et que Boabdil, el rey chico, comme on l’appelait à cause de sa petite taille, a poussé hors de Grenade conquise ce gémissement historique, suspiro del Moro, qui a baptisé un rocher de la Sierra d’Elvire.

Cette tour crénelée, massive, glacée d’orange et de rouge sur un fond de ciel cru, ayant derrière elle un abîme de végétation, la ville en précipice, et plus loin de longues bandes de montagnes veinées de mille nuances comme des porphyres africains, forme au palais arabe une entrée vraiment majestueuse et splendide. Sous la porte est installé un corps de garde, et de pauvres soldats déguenillés font la sieste au même endroit où les califes, assis sur des divans de brocart d’or, leurs yeux noirs immobiles dans leur face de marbre, les doigts noyés dans les flots de leur barbe soyeuse, écoutaient d’un air rêveur et solennel les réclamations des croyants. Un autel, surmonté d’une image de la Vierge, est appliqué à la muraille, comme pour sanctifier dès le premier pas cet ancien séjour des adorateurs de Mahomet.

La porte franchie, l’on débouche sur une vaste place nommée de las Algives, au milieu de laquelle se trouve un puits dont la margelle est entourée d’une espèce de hangar de charpente recouvert de sparterie sous lequel on va boire, pour un cuarto, de grands verres d’une eau claire comme le diamant, froide comme la glace, et d’un goût