Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
VOYAGE EN ESPAGNE.

ment transportée à l’autre coin ; de la salle des Nymphes, où l’on voit au-dessus de la porte un excellent bas-relief de Jupiter changé en cygne et caressant Léda, d’une liberté de composition et d’une audace de ciseau extraordinaires ; des appartements de Charles-Quint, outrageusement dévastés, qui n’ont plus rien de curieux que leurs plafonds chamarrés de l’ambitieuse devise : Non plus ultra, et nous nous transporterons dans la cour des Lions, le morceau le plus curieux et le mieux conservé de l’Alhambra.

Les gravures anglaises et les nombreux dessins que l’on a publiés de la cour des Lions n’en donnent qu’une idée fort incomplète et très fausse : ils manquent presque tous de proportions, et, par la surcharge que nécessite le rendu des détails infinis de l’architecture arabe, font concevoir un monument d’une bien plus grande importance.

La cour des Lions a cent vingt pieds de long, soixante et treize de large, et les galeries qui l’entourent ne dépassent pas vingt-deux pieds de haut. Elles sont formées par cent vingt-huit colonnes de marbre blanc appareillées dans un désordre symétrique de quatre en quatre et de trois en trois ; ces colonnes, dont les chapiteaux très-ouvragés conservent les traces d’or et de couleur, supportent des arcs d’une élégance extrême et d’une coupe toute particulière.

En entrant, vous avez en face de vous, formant le fond du parallélogramme, la salle du Tribunal, dont la voûte renferme un monument d’art d’une rareté et d’un prix inestimables. Ce sont des peintures arabes, les seules peut-être qui soient parvenues jusqu’à nous. L’une d’elles représente la cour des Lions même avec la fontaine très-reconnaissable, mais dorée ; quelques personnages, que la vétusté de la peinture ne permet pas de distinguer nettement, semblent occupés d’une joute ou d’une passe d’armes. L’autre a pour sujet une espèce de divan où se trouvent rassemblés les rois mores de Grenade, dont on discerne encore fort bien les burnous blancs, les têtes olivâtres, la bouche rouge et les mystérieuses prunelles noires. Ces