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VOYAGE EN ESPAGNE.

dessus tout cela un ciel brûlant comme une voûte de four, et pas un souffle d’air, pas une haleine de vent ! Le sable gris soulevé par les sabots des mules retombait sans tourbillonner. Un soleil à faire chauffer le fer à blanc frappait sur la toile de notre galère, où nous mûrissions comme des melons sous cloche. De temps à autre nous descendions et nous faisions une traite à pied, en nous tenant dans l’ombre du cheval ou de la charrette, et nous regrimpions les jambes dégourdies à notre place, en écrasant un peu les enfants et la mère, car nous ne pouvions arriver à notre coin qu’en rampant à quatre pattes sous le dôme surbaissé formé par les cerceaux de la galère. À force de franchir des fondrières et des ravins, de couper à travers champs pour abréger, nous perdîmes la vraie route. Notre mayoral, espérant se reconnaître, continua, comme s’il eût su parfaitement où il allait ; car les cosarios et guides ne conviennent qu’ils sont égarés qu’à la dernière extrémité, et lorsqu’ils vous ont fait faire cinq à six lieues en dehors de la bonne voie. Il est juste de dire que rien n’était plus aisé que de se tromper sur ce chemin fabuleux, à peine battu, et dont de profonds ravins interrompaient à chaque instant le tracé. Nous nous trouvions dans de grands champs clair-semés d’oliviers aux troncs contournés et rabougris, aux attitudes effrayantes, sans aucune trace d’habitation humaine, sans apparence d’être vivant ; depuis le matin, nous n’avions rencontré qu’un muchacho à moitié nu, poussant devant lui, à travers un flot de poussière, une demi-douzaine de cochons noirs. La nuit vint. Pour surcroît de malheur, ce n’était pas nuit de lune, et nous n’avions pour nous guider que la tremblotante lueur des étoiles.

À chaque instant, le mayoral quittait son siège et descendait tâter la terre avec ses mains pour sentir s’il ne rencontrerait pas une ornière, une trace de roue qui pût le remettre sur la voie ; mais ses recherches furent inutiles, et, bien à contrecœur, il se vit obligé de nous dire