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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/327

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VOYAGE EN ESPAGNE.

de prunelle et baisse de nouveau les cils. La bayadère Amany, lorsqu’elle dansait le pas des Colombes, peut seule donner une idée de ces œillades incendiaires que l’Orient a léguées à l’Espagne ; nous n’avons pas de termes pour exprimer ce manège de prunelles ; ojear manque à notre vocabulaire. Ces coups d’œil d’une lumière si vive et si brusque, qui embarrassent presque les étrangers, n’ont cependant rien de précisément significatif, et se portent indifféremment sur le premier objet venu : une jeune Andalouse regardera avec ces yeux passionnés une charrette qui passe, un chien qui court après sa queue, des enfants qui jouent au taureau. Les yeux des peuples du Nord sont éteints et vides à côté de ceux-là ; le soleil n’y a jamais laissé son reflet.

Des dents dont les canines sont très-pointues, et qui ressemblent pour l’éclat à celles des jeunes chiens de Terre-Neuve, donnent au sourire des jeunes femmes de Séville quelque chose d’arabe et de sauvage d’une originalité extrême. Le front est haut, bombé, poli ; le nez mince, tendant un peu à l’aquilin ; la bouche très-colorée. Malheureusement le menton termine quelquefois par une courbe trop brusque un ovale divinement commencé. Des épaules et des bras un peu maigres sont les seules imperfections que l’artiste le plus difficile pourrait trouver aux Sévillanes. La finesse des attaches, la petitesse des mains et des pieds, ne laissent rien à désirer. Sans aucune exagération poétique, on trouverait aisément à Séville des pieds de femme à tenir dans la main d’un enfant. Les Andalouses sont très-fières de cette qualité, et se chaussent en conséquence : de leurs souliers aux brodequins chinois la distance n’est pas grande.

 
Con primor se calza el pié
Digno de regio tapiz,


est un éloge aussi fréquent dans leurs romances que le teint de roses et de lis dans les nôtres.