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VOYAGE EN ESPAGNE.

dîner, arrosé des meilleurs vins, assaisonné des plus aimables propos, et aussi de diaboliques épices indiennes qui feraient boire un hydrophobe. Le lendemain, comme à cause du mauvais temps l’on n’avait pu mettre de canot à la mer pour aller chercher des provisions fraîches à terre, nous fîmes un dîner non moins délicat, mais qui avait cela de particulier, que chaque mets portait une date assez reculée. Nous mangeâmes des petits pois de 1836, du beurre frais de 1835, et de la crème de 1834, tout cela d’une fraîcheur et d’une conservation miraculeuses. Le gros temps dura deux jours, pendant lesquels je me promenai sur le pont, ne me lassant pas d’admirer la propreté de ménagère hollandaise, le fini de détails, le génie d’arrangement de ce prodige de l’esprit de l’homme qu’on appelle tout simplement un vaisseau. Le cuivre des caronades étincelait comme de l’or, les planches luisaient comme le palissandre du meuble le mieux verni. Aussi, chaque matin, l’on procède à la toilette du vaisseau, et, pleuvrait-il à verse, le pont n’en est pas moins lavé, inondé, épongé, fauberdé avec le même scrupule et la même minutie.

Au bout de deux jours, le vent tomba, et l’on nous conduisit à terre dans un canot à dix rameurs.

Seulement mon habit noir, fortement imprégné d’eau de mer, ne put en séchant reprendre son élasticité, et il resta toujours parsemé de micas brillants, et roide comme une morue salée.

L’aspect de Cadix en venant du large est charmant. À la voir ainsi étincelante de blancheur entre l’azur de la mer et l’azur du ciel, on dirait une immense couronne de filigrane d’argent ; le dôme de la cathédrale, peint en jaune, semble une tiare de vermeil posée au milieu. Les pots de fleurs, les volutes et les tourelles qui terminent les maisons varient à l’infini la dentelure. Byron a merveilleusement caractérisé la physionomie de Cadix en une seule touche :