des lames m’entrait par le collet de mon habit et me coulait dans le dos. Le patron et ses deux acolytes juraient, tempêtaient, s’arrachaient les écoutes et le gouvernail des mains. L’un voulait ceci, l’autre voulait cela, et je vis le moment où ils allaient se gourmer. La situation devint assez critique pour que l’un d’eux commençât à marmotter un tronçon de prière à je ne sais plus quel saint. Par bonheur, nous approchions du brick, qui se balançait nonchalamment sur ses ancres, et semblait regarder d’un air de pitié dédaigneuse les évolutions convulsives de notre petite barque. Enfin, nous abordâmes, et il nous fallut plus de dix minutes pour pouvoir empoigner les tire-veilles et grimper sur le pont.
« Voilà ce qui s’appelle avoir le courage de l’exactitude », nous dit le commandant avec un sourire en nous voyant monter sur le tillac, ruisselants d’eau, les cheveux éplorés en barbe de dieu marin, et il nous fit donner un pantalon, une chemise, une veste, enfin un costume complet. « Cela vous apprendra à vous fier aux descriptions des poëtes ; vous avez cru qu’il n’y avait pas de tempête sans orchestre obligé de tonnerre, sans vagues allant mêler leur écume aux nuages, sans pluie, et sans éclairs déchirant l’obscurité profonde. Détrompez-vous, je ne pourrai probablement vous renvoyer à terre que dans deux ou trois jours. »
Le vent était en effet d’une violence terrible, les cordages tressaillaient comme des cordes à violon sous l’archet d’un joueur frénétique, le pavillon claquait avec un bruit sec, et son étamine menaçait de se couper et de s’envoler en lambeaux dans le fond de la rade ; les poulies grinçaient, piaulaient, sifflaient, et, par instants, jetaient des cris aigus qui semblaient jaillir d’un gosier humain. Deux ou trois matelots en pénitence dans les haubans, pour je ne sais quelle peccadille, avaient toutes les peines du monde à ne pas être emportés.
Tout cela ne nous empêcha pas de faire un excellent