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Page:Gautier - Voyage en Espagne.djvu/378

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VOYAGE EN ESPAGNE.

d’argent ; les jambes sont enfermées dans des espèces de knémides ou jambards de laine blanche bordées d’un liséré bleu et laissant le genou et le cou-de-pied à découvert. Pour chaussures, ils portent des alpargatas, sandales de cordes tressées, dont la semelle a près d’un pouce d’épaisseur, et qui s’attachent au moyen de rubans comme les cothurnes grecs ; ils ont la tête habituellement rasée à la façon des Orientaux et presque toujours enveloppée d’un mouchoir de couleur éclatante ; sur ce foulard est posé un petit chapeau bas de forme, à bords retroussés, enjolivé de velours, de houppes de soie, de paillons et de clinquant. Une pièce d’étoffe bariolée, appelée capa de muestra, ornée de rosettes de rubans jaunes, et qui se jette sur l’épaule, complète cet ajustement plein de noblesse et de caractère. Dans les coins de sa cape, qu’il arrange de mille manières, le Valencien serre son argent, son pain, son melon d’eau, sa navaja ; c’est à la fois pour lui un bissac et un manteau. Il est bien entendu que nous décrivons là le costume au grand complet, l’habit des jours de fête ; les jours ordinaires et de travail, le Valencien ne conserve guère que la chemise et le caleçon : alors, avec ses énormes favoris noirs, son visage brûlé du soleil, son regard farouche, ses bras et ses jambes couleur de bronze, il a vraiment l’air d’un Bédouin, surtout s’il défait son mouchoir et laisse voir son crâne rasé et bleu comme une barbe fraîchement faite. Malgré les prétentions de l’Espagne à la catholicité, j’aurai toujours beaucoup de peine à croire que de pareils gaillards ne soient pas musulmans. C’est probablement à cet air féroce que les Valenciens doivent la réputation de mauvaises gens (mala gente) qu’ils ont dans les autres provinces d’Espagne : on m’a dit vingt fois que dans la Huerta de Valence, lorsqu’on avait envie de se défaire de quelqu’un, il n’était pas difficile de trouver un paysan qui, pour cinq ou six douros, se chargeait de la besogne. Ceci m’a l’air d’une pure calomnie ; j’ai souvent rencontré dans la campagne des drôles à mines ef-