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VOYAGE EN ESPAGNE.

froyables qui m’ont toujours salué fort poliment. Un soir, même, nous nous étions perdus et nous faillîmes coucher à la belle étoile, les portes de la ville se trouvant fermées à notre retour, et cependant il ne nous arriva rien de fâcheux, quoiqu’il fît nuit noire depuis longtemps, que Valence et les environs fussent en révolution.

Par un contraste singulier, les femmes de ces Kabiles européens sont pâles, blondes, bionde e grassote, comme les Vénitiennes ; elles ont un doux sourire triste sur la bouche, un tendre rayon bleu dans le regard ; on ne saurait imaginer un contraste plus parfait. Ces noirs démons du paradis de la Huerta ont pour femmes des anges blancs, dont les beaux cheveux sont retenus par un grand peigne à galerie ou traversés par de longues aiguilles ornées à leur extrémité de boules d’argent ou de verroteries. Autrefois, les Valenciennes portaient un délicieux costume national qui rappelait celui des Albanaises ; malheureusement, elles l’ont abandonné pour cet effroyable costume anglo-français, pour les robes à manches à la gigot et autres abominations pareilles. Il est à remarquer que les femmes sont les premières à quitter les vêtements nationaux ; il n’y a guère plus en Espagne que les hommes du peuple qui conservent les anciens costumes. Ce manque d’intelligence dans ce qui touche à la toilette surprend de la part d’un sexe essentiellement coquet ; mais l’étonnement cesse lorsque l’on songe que les femmes n’ont que le sentiment de la mode et non celui de la beauté. Une femme trouvera toujours charmant le plus misérable chiffon, si le genre suprême est de porter ce chiffon.

Nous étions depuis une dizaine de jours à Valence, attendant le passage d’un autre bateau à vapeur, car le temps avait dérangé les départs et brouillé toutes les correspondances. Notre curiosité était satisfaite, et nous n’aspirions plus qu’à retourner à Paris, à revoir nos parents, nos amis, les chers boulevards, les chers ruisseaux ; je crois, Dieu me le pardonne, que je nourrissais le désir