du fromage moisi, et des moustaches comme des grenadiers ; et puis, c’est leur accoutrement qu’il faut voir ! on prendrait un morceau d’étoffe, et l’on travaillerait pendant dix ans à le salir, à le râper, à le trouer, à le rapiécer, à lui faire perdre sa couleur primitive, que l’on n’arriverait pas à cette sublimité du haillon ! Ces agréments sont rehaussés par une mine hagarde et farouche, bien différente de la tenue humble et piteuse des pauvres gens de France.
Un peu avant d’arriver à Burgos, l’on nous fit remarquer, dans le lointain, un grand édifice sur une colline : c’était la Cartuja de Miraflores (la Chartreuse), dont nous aurons occasion de parler plus amplement. Bientôt après, les flèches de la cathédrale développèrent sur le ciel leurs dentelures de plus en plus distinctes ; une demi-heure après, nous entrions dans l’ancienne capitale de la Vieille-Castille.
La place de Burgos, au milieu de laquelle s’élève une assez médiocre statue en bronze de Charles III, est grande et ne manque pas de caractère. Des maisons rouges, supportées par des piliers de granit bleuâtre, la ferment de tous côtés. Sous les arcades et sur la place, se tiennent toutes sortes de petits marchands et se promènent une infinité d’ânes, de mulets et de paysans pittoresques. Les guenilles castillanes se produisent là dans toute leur splendeur. Le moindre mendiant est drapé noblement dans son manteau comme un empereur romain dans sa pourpre. Je ne saurais mieux comparer ces manteaux, pour la couleur et la substance, qu’à de grands morceaux d’amadou déchiquetés par le bord. Le manteau de don César de Bazan, dans la pièce de Ruy Blas, n’approche pas de ces triomphantes et glorieuses guenilles. Tout cela est si râpé, si sec, si inflammable, qu’on les trouve imprudents de fumer et de battre le briquet. Les petits enfants de six ou huit ans ont aussi leurs manteaux, qu’ils portent avec la plus ineffable gravité. Je ne puis me rappeler sans rire un pauvre petit