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verrez de pareil. Eh quoi ! elle se trompait, car…

Pouvoir magique de la pensée ! pendant une heure, j’ai vécu réellement à six ou sept cents lieues de mon corps. Malgré la dureté de la houle et l’âcre odeur de l’océan, j’étais bien dans le Patio de la Tassa.

L’alcaraza d’argile poreuse posée par terre à côté de deux citrons, le nez cassé d’un des lions de la fontaine qui lui donnait une physionomie grotesquement furieuse, les fleurs du parterre, les mystérieuses inscriptions arabes, je voyais tout ; j’entendais la voix de contralto de l’amie de Lola, tantôt claire comme l’argent, tantôt riche comme le cuivre. — Je me porterais parfaitement bien sans cet infernal miroir qui est placé juste en face de moi, et qui vacille au mouvement de la vague ; il brille et s’éteint comme un piége d’alouettes, puis il se ravive et jette des étincelles dans l’ombre ; la lumière tremble dessus comme du vif-argent ; il m’éblouit, me fascine et me donne le vertige. Chacune de ses oscillations m’avertit de ne pas ou-