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térieur qui repousse les formes à la manière des orfévres, et leur donne les creux ou les saillies de ses préoccupations. Dans ma première jeunesse, j’étais mince et maigre comme un page de tableau gothique allemand, mais je ne rêvais que muscles d’acier, poitrines de bronze, athlètes, boxeurs, hercules du nord et du midi tordant des barres de fer, soulevant des poids énormes, cavaliers portant leurs chevaux dans leurs bras, et par la force de ma volonté, aidée de quelques beefsteaks, je me suis modelé des pectoraux dignes d’un colonel de cuirassiers. Il est impossible de penser à quelque chose avec un peu de suite sans que cette pensée ne s’écrive ou sur le corps ou sur la figure.

Si les peintres font la nature, les écrivains font les mœurs ; ce qu’on appelle le monde est une pure abstraction : un auteur compose un livre où il imagine une société à sa guise, trace des portraits et des caractères qui n’existent pas : les copistes arrivent bientôt, et les héros de roman sont traduits en chair et en os. Les Lovelace, les Saint-Preux, les Werther, etc., etc.,