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Scène II.


Les Mêmes, BOU TALEB, BEN AÏSSA, Kabyles armés.


Bou Taleb, aux hommes qui le suivent, leur montrant Dominique. Faites retirer cet homme !

Dominique, à part. Homme toi-même, malappris ! tu pourrais bien dire : ce chasseur.

Un Kabyle. Allons, voyons… hors d’ici !

Dominique. On instant donc… Je ramasse mon mortier…

Un Kabyle. Pas de raisons… Marche vite.

Dominique, à part. Ils sont plus malhonnêtes que des gendarmes, ces sauvages-là !

Il sort en maugréant.

Bou Taleb. Qu’on amène les deux prisonniers.

Quelques-uns des Kabyles vont les chercher ; les autres restent au fond du théâtre.




Scène III.


BOU TALEB, BEN AÏSSA, Kabyles.


Ben Aïssa Pourquoi vouloir épargner ces Français ?… Ils sont à nous… leur vie nous appartient… On aurait dû les tuer sur-le-champ.

Bou Taleb. Oui, je sais que tu veux à tout prix te débarrasser de l’un d’eux… pour quel motif ; mais c’est dans ce seul but que tu as pris les armes avec nous, je ne m’y suis point trompé… Moi aussi, je hais ces Chrétiens ; moi aussi, je désire leur mort ! mais leur vie peut être utile aux intérêts de la tribu, je ferai taire mon ressentiment personnel.

Ben Aïssa. Que veux-tu dire, et qu’espères-tu ?

Bou Taleb. Ne m’as-tu donc pas compris, lorsque j’ai parlé devant nos frères ? Plusieurs tribus qui avaient promis de se joindre à nous, sont maintenant incertaines… et les Français vont revenir en force !… Je veux empêcher qu’ils ne reviennent, les obliger à nous accorder la paix sans conditions onéreuses… Les fêtes du Rhamadan commencent dans trois jours, tu le sais ; je compte sur l’exaltation religieuse, sur le redoublement de ferveur qu’elles excitent pour reprendre les hostilités… Alors, nous aurons de grandes chances de victoire. Si j’échoue dans mes desseins, si nos prisonniers refusent de souscrire à ce que je viens leur proposer, eh bien, ils mourront, et tu seras satisfait.

Ben Aïssa. Non… je ne le serai pas… Ils vivront, car ils accepteront tes offres !

Bou Taleb. Qu’en sais-tu ? Allah seul lit dans les cœurs.

Ben Aïssa. J’ai des raisons de croire qu’ils voudront se conserver la vie, le lieutenant Maurice surtout. Bou Taleb, je t’en supplie, livre-moi ce Français… Pour mon repos, pour mon bonheur même, j’ai besoin qu’il meure ! il me le faut ! livre-le-moi !

Bou Taleb. Je ne le puis Je ne le dois pas.

Ben Aïssa. Je te le demande comme une grâce, à toi qui fus si longtemps mon ami, qui seras bientôt mon frère !

Bou Taleb. Encore une fois, c’est impossible… La vengeance d’un seul ne doit pas compromettre les intérêts de tous.

Ben Aïssa. C’est bien ! en me refusant la mort de cet homme, tu te déclares mon ennemi… Toute alliance est rompue entre nous… tu n’auras jamais ma sœur.

Bou Taleb. Ta sœur est libre de disposer d’elle-même, et je l’aurai malgré toi.

Ben Aïssa. Nous verrons !

Bou Taleb. Silence… Voici les prisonniers… Sache, du moins, te contenir en leur présence…




Scène IV.


LES MÊMES, SAINT-AUBIN, MAURICE, puis DOMINIQUE.


Saint-Aubin, en entrant. Des hommes armés qui nous attendent… la menace dans tous les yeux… Allons, du courage !

Maurice, à Bou Taleb. Pourquoi nous as-tu fait amener ? Est-ce pour nous apprendre que nous allons mourir ? nous sommes prêts.

Dominique, survenant. Et je demande à être de la partie !

Maurice et saint-aubin. Dominique !…

Dominique. Ma foi, oui… Je suis las de trimer comme je le fais… Je n’étais pas né pour être marmiton des Bédouins, ni domestique des chameaux… Qu’on me fusille, j’aime mieux ça !

Bou Taleb. Je viens, au contraire vous offrir la vie, la liberté.

Dominique. La liberté ? j’aime mieux ça !

Maurice. Et à quelle condition ? car votre générosité ne doit pas être gratuite.

Bou Taleb. Tu vas écrire au gouverneur de Constantine que nous consentons à vous renvoyer tous les trois sains et saufs, s’il veut nous accorder l’âman sans représailles, sans contribution de guerre, et oublier ce qui s’est passé…

Maurice, vivement. Jamais… jamais… Plutôt me couper la main que de signer une pareille lettre…

Ben Aïssa, qui se tient à l’écart. Il refuse !

Maurice. Si je tenais à la vie, ce n’est pas à ce prix-là que je voudrais la racheter, Dieu