Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le sait. Il faut que mes soldats morts soient vengés, que leurs assassins soient punis !…

Bou Taleb. Que parles-tu d’assassins ? A-t-on puni ceux de notre kaid Bou Marza, tué sous les murs mêmes de Constantine ?… Nous avons voulu avoir raison de sa mort.

Maurice. Prétexte ! car tu sais bien qu’on n’a pu découvrir ses agresseurs, et que l’autorité protectrice de la France a tout fait pour empêcher le retour de pareilles rixes… Tu sais bien que nous ne frappons pas dans l’ombre, et qu’on livrerait au conseil de guerre quiconque, hors d’un combat, porterait la main sur l’un de vous !

Bou Taleb. Soit, vous êtes généreux, mais nous le sommes aussi, puisque nous voulons t’épargner.

Maurice. Merci d’une clémence qui déshonore, je ne l’accepte pas ! Encore une fois, les braves auxquels nous survivons doivent obtenir vengeance, car ils sont tombés, non pas dans un combat, mais dans un guet-apens !

Dominique. À la bonne heure, voilà qui est parler !

Bou Taleb. Avant de prononcer ton arrêt, je te laisse un quart d’heure pour réfléchir…

Ben Aïssa, à part. Encore des délais !…

Bou Taleb. Songe que tu n’es pas seul, et, que de ta réponse dépend le salut de ces deux hommes. (Aux Kabyles, montrant Saint-Aubin et Dominique.) Qu’on les reconduise au silo !

Saint-Aubin, à Maurice. Ne fléchissez pas mon ami… Mourons plutôt que de commettre une lâcheté !

Dominique. Civil, vous méritiez d’être militaire vous avez mon estime.

Un Kabyle. Allons ! marchons !

Saint-Aubin et Dominique sortent reconduits par des Kabyles.

Bou Taleb, aux sentinelles. Vous autres, veillez sur celui ci.

Ben Aïssa, à part. Fasse le ciel que, pendant ce quart d’heure, il oublie encore la Juive !

Il sort avec Bou Taleb et les Kabyles.




Scène V.


MAURICE, puis KADIDJA.


Maurice. Pauvres amis… c’est pour eux que j’ai accepté ce répit ; car pour moi la mort ne saurait venir trop tôt !…

Il va s asseoir à gauche.

Kadidja Laissez-moi lui parler.

Maurice. Mourir ! n’est-ce pas aller rejoindre Léa ? qui me retiendrait à présent dans ce monde ?

Kadidja[1] Moi ! je veux que tu vives !

Maurice. Toi ?

Kadidja. Oui ; mais prends garde, on nous observe…

Maurice, à part. Que signifie ?…

Kadidja. Ne désespère pas… j’aurai peut-être les moyens de le sauver !

Maurice. Qui es-tu donc ?

Kadidja. Je suis la sœur de l’un des chefs… et l’on ne se défie pas de moi… nul n’oserait soupçonner mes projets… Malgré les gardes qui t’entourent, j’ai pu t’approcher, te parler, tu le vois… Je n’ai donc rien à craindre, que le courroux de mon frère, mais je saurai le braver… seulement, il faut que tu me secondes…

Maurice. Comment ?

Kadidja. Tâche d’obtenir un nouveau délai, pour attendre que la nuit soit venue et que chacun dorme sous sa tente… Alors, je pourrai, je l’espère, t’arracher au supplice !

Maurice Avoir l’air de faiblir devant ces hommes, d’implorer une grâce ?…

Kadidja. Eh bien ! ce délai, me promets-tu de le demander ?

Maurice, après un instant d’hésitation. Réponds d’abord… Peux-tu faire évader mes compagnons avec moi ?

Kadidja. Oh ! ce serait rendre la fuite impossible ou trop hasardeuse… »

Maurice. Alors, je resterai.

Kadidja. Ciel ! que dit-il ?

Maurice. Non… non, je ne fuirai pas seul, je ne laisserai pas deux amis, deux frères, exposés à la fureur de ces barbares…

Kadidja. Mais, en restant, tu ne les sauves pas ! c’est de la folie… reviens à la raison… tu ne peux pas te perdre ainsi, être toi-même ton meurtrier !

Maurice. Va, laisse-moi mourir ne t’expose pas par un dévouement inutile… je ne tiens plus à la vie !

Kadidja. Mon Dieu ! que faire ? comment vaincre cette obstination fatale ?… Oh ! je t’en supplie, par tout ce qu’il y a de plus sacré, par l’âme de ta mère, consens à être libre, accepte le salut que je t’offre !…

Maurice, à part. Quelle étrange insistance ! (Haut) Mais qui donc te fait prendre un si vif intérêt à mon sort ?

Kadidja. Je ne veux pas que tu meures, parce que je te connais depuis longtemps, parce que je te sais noble et brave, parce que je t’aime, enfin !

Ben Aïssa, qui est entré sur les derniers mots. Elle l’aime !

Maurice. Pauvre fille !

Kadidja, à part, regardant Maurice. Sera-t-il vaincu par cet aveu ?… (Apercevant Ben Aïssa.) Ah !… mon frère !…

  1. Maurice, Kadidja.