Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/26

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Bou Taleb, à part. Que lui font les malheurs de ses frères ?…

Ben Aïssa. L’un de ces Français, Maurice d’Harvières est mon rival ! Comprends-tu maintenant ? Nous aimons tous deux la même femme !…

Kadidja. Alors, cesse d’être jaloux de lui… celle qu’il aimait n’existe plus.

Ben Aïssa. Que dis-tu ? Celle qu’il aimait ? Tu ne la connais pas ?

Kadidja, à demi-voix. C’était Léa, la fille du Juif Nathan…

Ben Aïssa. Léa… Eh bien ! oui… oui… mais elle vit !

Kadidja. Elle est morte, te dis-je !

Ben Aïssa. Morte ! c’est impossible… Tu t’abuses ou tu veux me tromper…

Kadidja. Plus tard tu sauras si je dis vrai…

Ben Aïssa. Oh ! oui, je le saurai !… Morte ou vivante, je veux la revoir encore !…

Kadidja. Viens donc !

Ils sortent.

Bou Taleb, aux Kabyles. Et nous, à la poursuite des fugitifs !…

On entend au loin plusieurs coups de feu ; les Kabyles sortent en poussant un hourra.



ACTE QUATRIÈME.


Le cimetière des Juifs, sur la colline de Sidi-Meeid : à gauche, le tombeau de Léa. — Clair de lune.



Scène PREMIÈRE.


BEN AÏSSA, seul.

Dieu de Mohammed ! qu’ai-je découvert ! Mes pressentiments ne me trompaient donc pas ? (Prêtant l’oreille à la porte du tombeau.) Il l’appelle, je l’entends… Elle lui répond… plus de doute ! Vivante !… elles est vivante !… Mais pourquoi l’infâme vieillard a-t-il joué cette comédie sacrilége ? pourquoi a-t-il menti sans honte à la face de sa tribu ? Oh ! n’importe ! sa fille vit, je l’aime, et elle m’appartiendra… Oui, je l’aurai malgré toi, juif maudit ! Ta conduite cache un mystère que tu dois craindre de révéler… tu ne crieras pas, tu n’appelleras personne à ton aide, car tu serais perdu si l’on venait ! — Pour plus de sûreté, courons avertir les hommes que j’ai laissés là-bas… Ils garderont les chemins qui descendent de la colline, et si Nathan me résiste, du moins Léa ne pourra s’échapper !

Il sort.




Scène II.


LÉA, NATHAN.



Nathan, paraient d’abord et regardant autour de lui. Personne !… (À Léa.). viens !…

Léa, Elle est enveloppée dans un burnous blanc. Ah ! je me sens renaître à l’air frais de la nuit… le sang remonte à mon cœur… ma poitrine se dilate !… Il est donc bien vrai, je respire, j’existe !… Merci, mon Dieu, de m’avoir laissé la vie !

Nathan. Tout s’est passé comme le désirais… Nos frères en pleurs ont accompagné tes funérailles, et nul, à Constantine ne soupçonne ta faute ni le mensonge que j’ai fait pour la couvrir… Ainsi, tu resteras morte aux yeux de tous dans cette ville où tu ne dois plus rentrer…

Léa. Hélas !

Nathan. Tout à l’heure je vais te quitter moi-même…

Léa. Me quitter… Ô mon Dieu ! déjà !

Nathan. Il le faut… Je vous ai tirée vivante de ce tombeau, dont la pierre gardera votre nom ; mon devoir est accompli… Sachez maintenant remplir le vôtre. À quelques pas d’ici, mon nègre Yacoub, dont le dévouement est sûr, attend avec des chevaux, pour vous conduire où vous voudrez aller.

Léa. Je vous l’ai dit, mon père, puisque je dois me séparer de vous, puisque votre arrêt est irrévocable, j’irai à Philippeville, au couvent des filles de la Miséricorde ; et là j’attendrai, dans le silence et la retraite, le jour de cette union que vous ne voulez pas bénir.

Nathan. C’est bien… Je vais chercher Yacoub.

Léa. Oh ! pas encore ! ne m’abandonnez pas ainsi ! J’ai trop compté sur mon courage… Au moment de m’éloigner devons peut-être pour toujours, mon cœur se brise… Que votre adieu ne soit pas éternel Avez pitié de mes larmes… Vous êtes mon nère après tout… Dites, Ô mon père, dites loue nous vous reverrons !

Nathan, avec un effort. Jamais !

Léa. Ne sacrifiez pas à de vains préjugés de caste et de croyance une enfant qui vous aime, et que vous aimez, oh ! j’en suis sûre malgré votre sévérité apparente… Autrefois vous vous plaisiez à m avoir près de vous pendant vos heures de travail… vous m’appeliez votre fille chérie, et souvent vous disiez, d’un air attendri, que je ressemblais à