Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/28

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enfin parler et que tu fléchiras, je l’espère, dans ce rapprochement inattendu.

Maurice. Nathan !… il est donc ici ?

Léa. Il va venir… écoute… c’est lui peut-être… N’as-tu pas entendu par la remuer les feuilles ?…

Maurice. Non… rien… Mais qu’il vienne, qu’il vienne ! et que je le bénisse de l’avoir conservée pour moi, lui que, dans ma douleur, l’accusais de ta mort !

Léa. Oh ! que j’ai souffert en pensant que tu pourrais y croire ! que j’ai versé de larmes !… Ne pouvoir t’avertir ! quel supplice, mon Dieu ! quelle torture !… J’avais promis de me taire et je n’ai rien dit, j’en ai eu le courage car, à ce prix seulement, je pouvais t’appartenir un jour !… mais que n’aurais-je pas fait pour t’épargner une si cruelle épreuve !

Maurice. Oui, elle a été cruelle horrible ! je voulais mourir moi-même, j’ai cherché le trépas, je l’ai appelé comme un bienfait !

Léa. Ciel ! Il aurait pu venir et quand je me serais éveillée… Oh ! c’est épouvantable ! ne pensons plus à cela… Je te revois, tu m’aimes toujours… je suis heureuse, bien heureuse !

Maurice. Chère âme !… Ah ! Dieu veuille que ton père ne soit pas inflexible et qu’il consente à nous suivre… En France, loin de ces fanatiques, il pourra t’aimer sans rougir, nous appeler ses enfants…

Léa, avec effroi et se cachant la figure de ses mains. Ah !

Maurice. Qu’as-tu donc ?

On voit Ben Aïssa se glisser entre les arbres.

Léa, lui montrant un buisson. Là, j’ai vu briller deux flammes, deux yeux d’hyène ou de démon !…

Maurice. Tu te trompes sans doute.

Léa. Non, non… il y a là quelqu’un qui nous épie !…

Maurice, à lui-même. Un des Kabyles qui me poursuivaient peut-être… (Reprenant son yataghan.) Attends, je vais…

Léa. Prends garde !

Maurice. Ne crains… je fouille ces broussailles et je suis à toi…




Scène V.


LÉA, BEN AÏSSA.


Léa. Ce regard de feu m’a traversé l’âme !

Ben Aïssa, s’avançant dès que Maurice a disparu. Plus d’obstacle !

Il se précipite sur Léa.

Léa. Ah !…

Ben Aïssa, qui étouffe sa voix en l’enveloppant de son burnous. Tais-toi ! tais-toi ! ou, si tu pousses un cri, si tu appelles, ton amant tombe mort sous tes yeux, ton père lui-même ! car la montagne est cernée par mes hommes !

Léa. Misérable ! que me veux-tu donc ?

Ben Aïssa. Je veux que tu me suives, que tu m’appartiennes… je t’aime !

Léa, se débattant. Laisse-moi ! laisse-moi !




Scène VI.


Les Mêmes, NATHAN.


Nathan, s’élançant sur Ben Aïssa et le frappant d’un coup de poignard. Lâche et infâme !

Léa tombe évanouie.

Ben Aïssa. Juif maudit ! ton sang payera le mien, et tes frères connaîtront ton mensonge !

Nathan. Pas de menaces, malheureux ! si je ne t’ai ôté que la force, je saurai bien t’ôter la vie !

Ben Aïssa. À moi ! à moi !

Ils disparaissent en luttant.




Scène VII.


LÉA, MAURICE, puis NATHAN.


Maurice, rentrant. J’ai entendu des cris… (Apercevant Léa.) Ciel ! Léa évanouie !

Il cherche à la ranimer.

Nathan, reparaissant et jetant son poignard à terre. Il ne trahira pas mon secret !

Maurice. Nathan !

Nathan. Le Français ici !

Maurice. Ah ! je rends grâce au hasard qui nous met en face l’un de l’autre !… pardonne-moi de t’avoir accusé un instant : Léa m’a tout appris, et je viens, la joie dans l’âme, l’espoir au cœur, te dire…

Nathan, l’interrompant. Assez !… je viens te placer encore une fois entre elle et moi… mais je ne te la disputerai pas davantage… Que le destin s’accomplisse !… Sache maintenant protéger celle que tu as su perdre, emmène-la loin d’ici, que jamais elle ne reparaisse à Constantine, qu’elle n’y vienne pas traîner son déshonneur et afficher ma honte ! À dater de cet instant, elle est morte pour moi, comme elle l’était déjà pour sa tribu.

Maurice. Écoute-moi…

Nathan. Point d’explications ! Hâte-toi de fuir avec elle… allez dans une autre partie de l’Afrique… en Europe, en France, n’importe, pourvu que ce soit loin d’ici et que je n’entende jamais parler de vous !

Maurice. Oh ! tu ne partiras pas ainsi… attends qu’elle se soit ranimée… laisse-lui