Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/31

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racle… Mais, plutôt que de voir périr l’innocent je parlerai, je dirai tout !… (Elle va pour sortir.) Insensée !… Et qui voudra me croire ? Ai-je seulement le droit d’être entendue ? ne suis-je pas morte au monde ?… Ah ! pourquoi ne m’a-t-on pas tuée tout à fait ?… Mais non, mon Dieu, pardonnez-moi ! je blasphème votre bonté ! Mon père viendra… vous me l’enverrez… Oui, oui, allons l’attendre sous la porte d’El-Kantara, et d’abord oh ! d’abord, sachons ce qu est devenu Maurice.

Elle se dirige vers la droite.




Scène III.


LÉA, KADIDJA.

Kadidja, à part. C’est elle ! (Haut, et allant à Léa.) Arrête !

Léa. Que me veux-tu ?

Kadidja. Il y a là-haut un homme accusé de meurtre, un homme qui va être condamné, car nos khalifats se sont émus du crime, et demandent qu’il soit fait un exemple.

Léa. Hélas ! cet homme est innocent !

Kadidja. Innocent ou coupable, qu’importe ? L’aimes-tu ?

Léa. Si je l’aime !

Kadidja. Es-tu prête à tout faire pour le sauver ?

Léa. Je suis prête à mourir !

Kadidja. Il faut vivre et renoncer à lui !

Léa. Que veux-tu dire ? explique-toi…

Kadidja. Eh bien ! fais un de ces grands sacrifices que la passion inspire… qu’elle commande aux nobles âmes ! Ben Aïssa, celui qui a été frappé, celui qui accuse, est mon frère. Il a mis en toi tous ses désirs, toutes ses espérances, toute sa vie… ne le repousse plus et Maurice sera justifié !

Léa. À un tel prix ? jamais ! jamais !

Kadidja. Et tu dis que tu l’aimes ? tu crois que c’est là de l’amour ?… Non, non, car je sens, moi, que je n’hésiterais pas !

Léa. Toi ?…

Kadidja. Oui, moi qui suis pourtant dédaignée de lui !

Léa. Dédaignée… Ah ! ce mot m’éclaire… Je comprends : tu es ma rivale, tu veux m’éloigner de Maurice ! Et, quand ta bouche ne t’aurait pas trahie, à ton empressement étrange, à ce dépit que tu ne peux cacher, au trouble même de mon cœur, je t’aurais devinée déjà !…

Kadidja. Tu te trompes ! je suis maintenant au-dessus de ces jalousies vulgaires. Maurice, que tu le sauves ou non, et à jamais perdu pour moi… Hier, au moment où les gardes le conduisaient à la Kasbah, je l’ai vu je lui ai parlé, il a détruit mon dernier rêve ! Je sais que ta mort même ne m’ouvrirait pas son cœur… Ainsi, tu peux m’écouter sans défiance, je ne suis plus ta rivale… Il n’y a que ton dévouement qui puisse égaler ma résignation !

Léa. Mensonge ! tu l’aimes toujours oui, oui, tu l’aimes trop, ne me dis pas que tu es résignée ! Quand on a dans le cœur un amour sans espoir, on ne se résigne pas, on meurt… Tu vis ! c’est que tu espères encore ! et ce sacrifice que tu oses me conseiller ne serait pour toi qu’un triomphe !

Kadidja. Ah ! mon triomphe, doux et cruel à la fois, ma consolation dans ma douleur, c’est de voir que je l’emporte sur toi en courage et en abnégation ! (Mouvement de Léa.) Tiens, veux-tu que je te dise ? à quelques mots échappés à mon frère, j’ai cru comprendre que Maurice n’est pas coupable Le nom du vrai meurtrier, tu le connais, j’en suis sûre, et tu le caches !

Léa, à part. Ciel !

Kadidja. Pourquoi cela ? je ne sais mais il y a au monde quelque chose que tu mets au-dessus de ton amour !… Oh ! moi ! je lui sacrifierais tout, religion, honneur, patrie, famille… et cependant, je ne suis pas aimée !… Oui, un sacrilège, un crime, pour sauver Maurice, je le commettrais sans hésitation, sans remords… et cependant, cependant, je ne suis pas aimée !

Léa, à part. Quelle passion ! quel langage ! il me fait douter de moi… Mais non… c’est une femme barbare qui n’écoute que ses sauvages instincts, qui veut m’entraîner dans une voie fatale… (À Kadidja.) Laisse-moi ! laisse-moi !…

Kadidja. Non… Tout à l’heure, je t’ai méconnue, accusée… pardonne-moi, j’ai eu tort… tu es capable de grandes choses !… Pour te rapprocher de ton amant dans ce monde, pour te retrouver plus tard avec lui dans le même ciel, tu as renoncé à ta religion, aux prières que tu récitais depuis ton enfance… Fais plus encore ! renonce à ton amour, à tes rêves de bonheur… accomplis le sacrifice dont je t’envie les angoisses… et, s’il est au-dessus de tes forces, en bien ! tu mourras après, voilà tout !

Léa. Démon tentateur, ne m’éprouve pas davantage Tu ne me pousseras pas au crime : je suis Chrétienne, je suis forte !… Oui, tu l’as dit, il y a quelque chose que je mets au dessus de mon amour, et je m’en glorifie, et j’en rends grâce au Dieu que je sers, à ce Dieu dont la loi m’a été révélée… il est bon, il est juste, il sauvera l’innocent !

Elle sort rapidement par la droite.




Scène IV.


KADIDJA, puis BEN AÏSSA, Kabyles.


Kadidja. Partie ! plus d’espoir !… Elle