Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/30

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Ben Aïssa, à part, regardant Maurice et Léa. Oh ! mourir peut-être, et les laisser ensemble !…

L’officier. Voyons, réponds Quel est ton assassin ?

Ben Aïssa, désignant Maurice. Le voilà !

Léa jette un cri de stupéfaction.

Maurice. Moi, misérable ! et qui aurait pu me pousser à ce crime ?

Ben Aïssa, se relevant tout à fait. La jalousie… nous aimons fous deux cette femme…

Léa. Tu mens ! ce n’est pas lui…

Maurice, bas, l’interrompant. Tais-toi !… tu ne peux accuser ton père ! (À l’Officier.) Je suis prêt à vous suivre.



ACTE CINQUIÈME.


Un chemin qui borde le ravin de Constantine, du côté des chutes du Roummel. En perspective, des rochers coupés à pic ou surplombant. À droite, le chemin s’escarpe pour monter vers la ville. — Lever de soleil.



Scène PREMIÈRE.


BOU TALEB, LÉA, KABYLES.


Bou Taleb est assis avec l’un des Kabyles au pied d’un arbre ; les autres sont couchés sur le bord du chemin ; Léa est à droite, endormie.


Bou Taleb. Le jour… voici le jour… (À ses hommes.) Allons ! vous autres, debout ! c’est assez dormir.

Le Kabyle. Levez-vous, levez-vous… Le soleil monte derrière le Mansourah… Les portes de Constantine doivent être ouvertes. — Voyons, toi, tu finiras ton rêve ce soir !

Bou Taleb, au Kabyle. Tu m’as bien entendu, n’est-ce pas ? Il faut renoncer, pour le moment, à toute tentative d’insurrection, et, quoi qu’il nous en coûte, obtenir l’âman des Français… Cela nous donnera le temps de faire en secret nos préparatifs, et de mieux organiser notre attaque.

Le Kabyle. J’ai compris tes intentions.

Bou Taleb. Si les Français exigent que le principal instigateur de cette révolte leur soit livré, tu sais ce qui a été convenu entre nous, et ce que tu dois leur répondre…

Le Kabyle. Il sera fait comme tu l’as dit. Mais pourquoi ne vas-tu pas toi-même débattre des conditions du traité ? Plus habile que moi, tu en obtiendrais de meilleures…

Bou Taleb. Non… je ne veux avoir aucun rapport avec ces Chrétiens… un ennemi à qui l’on parle devient un homme, presque un frère, et je dois toujours les haïr ! D’ailleurs, il n’est pas nécessaire qu’ils apprennent à connaître ma figure… Auteur mystérieux de tous les soulèvements, j’en ai cent fois plus de force ! Va ! et reviens me trouver quand ta mission sera remplie. Je t’attendrai sous la première arche du Roummel. (Les Kabyles s’éloignent par la droite. À lui-même.) Ah ! j’oubliais… (S’approchant de Léa.) Femme, éveille-toi…

Léa. Où suis-je ?… Qui m’appelle ?

Bou Taleb. Tu avais demandé comme une grâce de rester près de nous jusqu’au jour… Le voici venu… Nous partons ; mais tu n’es qu’à quelques pas de Constantine, et tu ne dois plus rien craindre ?

Léa. Non… merci, merci…

Bou Taleb. Qu’Allah te conduise donc !

Il descend par le fond dans le ravin.




Scène II.


LÉA, seule.

J’ai dormi… j’ai pu dormir… mais cruel affreux sommeil ! quel rêve épouvantable !… Je voyais Maurice… il était là, silencieux, devant ses juges… devant cet homme, qui l’accusait en montrant sa blessure… et nulle voix ne s’élevait pour le défendre ! J’essayais d’appeler mon père… mes cris mouraient étouffés dans ma poitrine… et mon père ne venait pas, et Maurice était condamné ! (Se levant avec agitation.) Condamné ? lui ? Non, non, il ne l’est pas encore… Tout cela n’était qu’un rêve… oui, tout… excepté l’absence de mon père, qui n’est, hélas ! que trop réelle !… Parti, mon Dieu ! parti !… oh ! niais il ne peut être loin de Constantine, et Yacoub sera parvenu à le rejoindre… si pourtant, dans sa haine contre Maurice, il allait refuser de venir au rendez-vous que je lui assigne ? si cet horrible rêve devait se réaliser ?… Oh ! jamais ! jamais ! plutôt alors dénoncer le vrai coupable !… Mais que dis-je ? dénoncer mon père ? l’accuser à la face de Dieu et des hommes ? (Après un silence.) Eh bien ! n’a-t-il pas brisé lui-même tous les liens qui nous unissaient ? ne m’a-t-il pas reniée pour sa fille ?… Oui, je n’ai plus maintenant qu’un devoir, c’est de sauver Maurice ! si je me trompe et si le ciel me condamne, qu’il ramène mon père ou qu’il fasse un mi-