Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/20

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mort à mes ouailles. Si vous ne me croyez pas, vous pourrez venir vous assurer par vous-mêmes, mais je vous en prie ne touchez pas à mon corps. Demain, vous irez chercher à l’Île aux Coudres, M. Compain, le curé, qui me donnera la sépulture, il vous attendra au bout d’en bas de l’Île. Ne craignez point de partir quelque temps qu’il fasse. Je réponds de ceux qui feront ce voyage. »

On crut d’abord à une plaisanterie, mais il insista avec un air de conviction et d’autorité qui ne permettait pas de doute.

Vous n’avez jamais paru en aussi bonne santé, lui dit un officier, comment pouvez-vous croire que votre fin soit prochaine ? Mon enfant, reprit le père, vous reconnaîtrez avant le jour la vérité de mes paroles ; et il sortit en leur faisant un dernier et suprême signe d’adieu. Tous restèrent stupéfiés, n’osant croire à la réalité de cette triste prophétie ; cependant les montres se mettent sur la table et anxieux, fiévreux, agités, ils comptent les heures : dix, onze, minuit !!! Ce fut comme une commotion : la cloche de la chapelle sonne dans la nuit : on dirait le râle d’une agonie. Tous accoururent à la chapelle : à la lueur de la lampe du sanctuaire, ils entrevoient dans le chœur, la robe du Père La Brosse. Il était prosterné à terre, immobile, le visage dans ses deux mains jointes, appuyé sur la première marche de l’autel.

Il était mort !

La triste nouvelle court le village. C’est un coup de foudre dans un ciel serein ; dès le point du jour toute la population est sur pied et envahit la chapelle ; chacun veut jeter un dernier regard sur le bon père que la mort est venue terrasser !

Toute la journée ce fut un défilé devant le corps du saint missionnaire ; les sauvages qui l’aimaient tant et qu’il payait si bien de retour restaient assis auprès de leur bon ami, immobiles, le doigt sur la bouche comme pour marquer par ce geste qu’aucune parole ne pouvait exprimer leur douleur.

Cependant il fallait songer à l’ensevelir, il fallait avoir un prêtre et se souvenant de ses dernières paroles : « M. Compain sera au bout d’en bas de l’île aux Coudres, allez le chercher : il n’y a aucun risque pour ceux qui feront ce voyage, » on résolut de mettre un canot à la mer pour l’Île aux Coudres et pourtant la